Entretien

Hélène Fiamma : "Un livre doit être lu, donc il doit être vendu"

olivier dion

Hélène Fiamma : "Un livre doit être lu, donc il doit être vendu"

Réduction drastique de la production, dissociation des deux maisons, développement de la littérature française, création de nouvelles collections et refonte graphique : la directrice de Payot & Rivages tire le bilan de ses trois premières années à la tête de cette filiale d’Actes Sud.

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Par Pauline Leduc,
Créé le 10.02.2017 à 00h33 ,
Mis à jour le 10.02.2017 à 10h08

Hélène Fiamma - J’ai le sentiment que nous avons accompli plein de choses. Et notamment le lancement de nouvelles collections chez Payot tandis que la littérature française, lancée en 2013 chez Rivages, est en plein essor. Pour autant, nous avons réduit la production : entre 2012 et 2017, nous sommes passés de 288 nouveautés à 194 prévues cette année, avec un chiffre d’affaires en hausse. J’insiste sur la littérature française : à l’heure où la non-fiction a tendance à cannibaliser la littérature, nous mettons la fiction au centre de notre travail avec un goût pour des univers presque oniriques, parfois proches du fantastique. Plus généralement, je ressens chez Payot & Rivages une énergie qui contraste avec le bruit de fond défaitiste qui traverse le monde de l’édition.

La maison avait été rachetée un an auparavant par Actes Sud qui, dans le même temps, est devenu, après Hachette, notre diffuseur et chez qui nous avons emménagé en 2015. Payot & Rivages a donc connu en accéléré tous les changements possibles et imaginables pour un éditeur, ce qui peut être une situation violente. Pour autant, j’ai découvert sur place une vraie force éditoriale, bien vibrante.

Je rends des comptes à la direction d’Actes Sud et je travaille étroitement avec Françoise Nyssen, Bertrand Py et Olivier Randon, mais la maison est parfaitement indépendante d’un point de vue éditorial. Pas question pour autant de nous faire concurrence : imaginons que nous souhaitions publier le nouveau Ellroy et qu’Actes Sud veuille éditer le dernier Millénium, nous allons nous coordonner pour espacer les publications. La communication est très fluide et nous n’avons eu aucun pépin en trois ans car les éditeurs échangent entre eux de façon informelle. Si par exemple Jeanne Guyon [éditrice du polar chez Rivages, NDLR] s’intéresse à un titre, elle appelle Manuel Tricoteaux [qui dirige notamment "Actes noirs", NDLR] pour savoir s’il souhaite lui-même se positionner dans les enchères et vice versa.

Un des principaux enjeux a été de réduire le nombre de titres. Il faut publier moins de nouveautés et les travailler beaucoup plus en termes de lancement. Lorsqu’on sert les intérêts du livre, on sert aussi en général les intérêts économiques de la maison. J’ai du mal à comprendre comment un éditeur pourrait prétendre ne pas avoir une démarche commerciale. Quand on aime un livre, on le publie parce qu’on pense qu’il faut qu’il soit lu, donc qu’il soit vendu ! Et cela ne vaut pas que pour les nouveautés, la vie du fonds est essentielle, surtout pour une maison comme Payot qui est centenaire. Nous avons effectué un travail colossal pour faire vivre ces titres.

Après avoir relooké Rivages Poche en 2014, Christophe Guias, directeur littéraire de Payot, a fait de même avec la "Petite bibliothèque Payot" en 2015 ; il a remis en vente des titres choisis mais aussi lancé un travail sur le terrain auprès des libraires. En bref, nous avons donné une seconde vie à de nombreux titres. J’ai été surprise de voir que Life is so good de l’Américain George Dawson, un des titres forts de la maison publié en 2000, avait été oublié des libraires qui l’ont redécouvert avec plaisir. Le bouche-à-oreille est fondamental. Finalement, on n’a jamais rien inventé de mieux pour vendre un livre que le "tu n’as pas lu ce super bouquin ?".

L’option stratégique que nous avons prise repose sur un paradoxe. Dissocier les deux marques, tout en rapprochant le travail des équipes en interne grâce à des réunions transversales et à des échanges permanents entre les collaborateurs. J’avais eu des retours de libraires et de journalistes qui me disaient qu’ils ne savaient pas toujours identifier ce qui se faisait dans l’une ou l’autre des maisons. Du point de vue de la communication, on a commencé par séparer les réseaux sociaux et au printemps arrivera un nouveau double site sur lequel nous travaillons depuis deux ans.

J’ai tenu à clarifier les lignes des maisons et, dans chacune d’elles, redéfini et précisé les collections notamment via un travail sur les couvertures. Chez Payot, où nous éditons traditionnellement la non-fiction, nous avons créé une collection de psycho grand public mais avec des points de vue "musclés", incarnés notamment par une auteure comme Emmanuelle Piquet. Mais nous avons aussi relancé la "Petite bibliothèque Payot. Voyageurs" et la "Bibliothèque historique Payot", qui accueille les titres proches du monde universitaire. A côté, nous développons une manière de raconter l’histoire d’une autre façon grâce à une mise en scène narrative ne sacrifiant rien à la rigueur historique. Je tiens aussi à publier des ovnis comme le splendide recueil de poésie de l’auteure autiste Babouillec, Algorithme éponyme et autres textes (2016), paru chez Rivages.

C’était un risque de se lancer sur ce segment dans ce paysage économique, mais il est payant. Le travail de notre éditrice Emilie Colombani est remarquable avec de beaux succès comme Faillir être flingué de Céline Minard. Le premier roman de Miguel Bonnefoy, paru le jour des attentats de Charlie Hebdo, a connu malgré ce contexte un succès commercial et critique important : 15 000 exemplaires écoulés et des droits vendus dans cinq pays, ça n’arrive pas tous les jours ! La littérature étrangère se développe aussi sous l’égide de Nathalie Zberro qui a en charge de réveiller l’héritage de Rivages en la matière. Tout est fait en fonction du livre, et du livre seulement : ainsi quelques auteurs étiquetés noirs ont été publiés en littérature étrangère comme David Peace avec Rouge ou mort.

On ne remplace pas François Guérif ! Pour porter le noir, désormais, nous avons un binôme d’éditeurs : Jeanne Guyon, qui a longuement travaillé aux côtés de François, et Valentin Baillehache, qui s’occupait du domaine du policier chez 10/18, et qui nous rejoint début mars. Quant à François Guérif, qui a pris sa retraite au titre de directeur de collection, il continue de suivre certains auteurs, dont James Ellroy, Dennis Lehane et James Lee Burke. Il est libre d’apporter des projets ailleurs et notamment chez notre ami Gallmeister.

La noire a une identité très forte, littéraire, ambitieuse. Il est hors de question qu’on bouleverse ce qui fait d’elle une des collections les plus célèbres au monde. Si j’ose dire, Jeanne est la fille spirituelle de François, donc pétrie de ses valeurs. Sans contrevenir à cet héritage, il faut aussi essayer d’autres choses ! Vous connaissez la formule dans Le guépard : il faut que tout change pour que rien ne change…

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