ÉDITION

"Nous sommes les enfants de la mondialisation. La France n'est plus le centre du monde." JOHANN CHAPOUTOT- Photo ASTRID DI CROLLALANZA/SEUIL

Ils savent qu'ils sont attendus au tournant. Mais ils savent aussi qu'il y avait matière à faire une Histoire de la France contemporaine, quarante ans après la Nouvelle histoire de la France contemporaine, initiée par Michel Winock, des Michel Vovelle, Maurice Agulhon, Serge Berstein... Emmenés par Johann Chapoutot, dix historiens ont relevé le défi. Le 4 octobre, le Seuil donne le coup d'envoi de la publication des dix volumes de cette Histoire de la France contemporaine de 1799 à nos jours, avec trois premiers titres : L'Empire des Français, 1799-1815 d'Aurélien Lignereux, Monarchies postrévolutionnaires, 1814-1848 de Bertrand Goujon et Le crépuscule des révolutions, 1848-1871 de Quentin Deluermoz. Chaque année en octobre paraîtront deux ou trois volumes (450 p., 25 euros). Fin de l'opération en octobre 2015. Si l'objectif est de devenir une référence, cette nouvelle série n'a pas vocation à remplacer la fameuse "NHFC", bible de tout étudiant en histoire qui se respecte. Mais elle constitue un passionnant apport historiographique.

La Révolution n'est plus contemporaine

Comment faire, aujourd'hui, une Histoire de la France contemporaine ? "Nous avons voulu acter tous les progrès de l'historiographie, leur rendre hommage aussi et proposer une histoire que l'on ait plaisir à lire", souligne Johann Chapoutot. Première conséquence visible : la période contemporaine s'ouvre en 1799 et non plus aux débuts de la Révolution. "Les décennies 1780 et 1790, Directoire inclus, sont tombées dans l'escarcelle des modernistes. La Révolution est ressentie dans un climat qui est celui de l'époque moderne et non de l'époque contemporaine, explique-t-il. Le choix n'a pas été évident. Commencer par 1789 était très commode pour des raisons symboliques, affectives... Mais 1799 inaugure le Consulat. Le Consulat et l'Empire, c'est une composition entre l'ordre et le mouvement, la révolution et la réaction. C'est très emblématique d'une France qui proteste mais vote à droite. »

L'équipe d'historiens s'est employée à écrire de la façon la plus fluide possible, afin que les ouvrages aient la tonalité d'un essai. Chaque livre a été confié à l'un d'entre eux, qui y développe une problématique annoncée dès le titre. Les auteurs, tous trentenaires - à l'exception de deux quadragénaires -, ont travaillé dans le même esprit que leurs aînés : faire "une histoire totale du territoire et de la nation France", en prenant en compte toutes les dimensions, politique, sociale, culturelle, économique... Mais leur approche est emblématique de cette nouvelle génération nourrie d'analyses internationales et transnationales, et des nombreuses monographies régionales. En résultent des récits qui veillent à "décentrer le regard". Ils parlent de la révolution de 1848 à Marseille ou à Lyon, du Front populaire à Bordeaux, intègrent les grands mouvements européens et internationaux.

"Nous avons peut-être pris la mesure de l'insuffisance d'un regard autocentré. Nous sommes les enfants de la mondialisation. La France n'est plus le centre du monde, nous savons que nous ne sommes pas seuls, que les frontières sont poreuses, analyse Johann Chapoutot. Mais au fil de cette histoire, la France apparaît comme un objet à part entière, très spécifique. Le détour par le questionnement sur l'objet, par l'étranger et la comparaison, nous permet de spécifier que la France est une construction originale, par sa conception du territoire, des hommes, de l'Etat, par la notion de république quasi religieuse..." Lui travaille sur les années 1930 et se montre soucieux de "rouvrir les possibles et éviter de faire une histoire téléologique. Tout ne mène pas à la débâcle et à Pétain. Des choix d'acteurs et d'élites politiques, des hasards conduisent à quelque chose".

"La NHFC, c'est mythique !"

Johann Chapoutot est davantage connu comme spécialiste de l'Allemagne nazie : il est l'auteur du National-socialisme et l'Antiquité (Puf, 2008) et Le meurtre de Weimar (Puf, 2010) ; il a aussi participé à l'Histoire de la virilité au Seuil, dont il a rédigé le chapitre sur les fascismes. Mais lorsque Laurence Devillairs, alors responsable du domaine historique au Seuil, lui propose le projet en 2008, il n'hésite pas une seconde. "Cela faisait longtemps que j'avais envie de faire de l'histoire de France. Et la NHFC, c'est mythique !" Surtout, c'était au moment où la question de l'identité nationale était mise sur le devant de la scène politique. "Nous avons tous été révulsés", dit-il. De fait, s'ils restent dans une rigueur toute scientifique, les auteurs ont à coeur de rappeler les échos des enjeux présents dans l'histoire. "Ce balancement permanent entre innovation et classicisme est aussi très contemporain. Finalement, la social-démocratie de François Hollande, c'est ça !"

Johann Chapoutot est convaincu que le public sera au rendez-vous, en dépit de la production pléthorique. L'Histoire de France en treize volumes sous la direction de Joël Cornette que Belin a bouclée au printemps aurait pu apparaître comme une concurrence sérieuse (1). Mais le succès de cette entreprise les a rassurés. "Oui, il y a de la place pour notre Histoire de la France contemporaine, car il y a une demande sociale, estime Johann Chapoutot. Tous les jours, il y a une interrogation : qu'est-ce que la France, l'Europe aujourd'hui ? Quelle est sa place dans le monde ? Cela a un écho immédiat."

(1) Voir LH 907 du 27.4.2012, p. 44.

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