Avant-critique Roman policier

Dans l'ultime ligne de mire. Rémi nous a manqué. Même les silures se morfondaient, tristes et confinés au fond de la Seine, du côté du pont d'Austerlitz. Revenu aux affaires, l'ancien plongeur de la brigade fluviale de Paris (voir Quai des enfers, Gallimard, prix Paul Féval de la SGDL 2010) fait désormais carrière au 36, cet illustre 36, quai des Orfèvres, devenu 36, rue du Bastion dans le 17e arrondissement depuis le déménagement de toutes les hautes sphères policières de la capitale. Aujourd'hui, l'œil rivé à la lunette de son fusil de précision, Rémi rempile pour une pige à l'antigang, la fameuse BRI. Sa mission, qu'il accepte sans sourciller, consiste à protéger le menacé Richard Schönberg, magnat des médias et de l'IA destructive, lors d'une réception maousse initiée par ce dernier. Et c'est la cata : le milliardaire échappe au sniper embusqué contrairement à un député européen convié au pince-fesses. De fait, comme dans tout bon western, il ne peut y avoir deux tireurs d'élite dans la même ville. Alors la chasse et le duel s'imposent entre Rémi et l'hacktiviste, à la fois pirate informatique et bras armé de l'action politique. D'autant que le flic est un temps accusé par sa hiérarchie d'être la gâchette mortelle. Mais les suspicions s'évaporent très vite, lorsqu'en guise de sauf-conduit empoisonné l'influent Schönberg l'engage comme garde du corps, à titre privé et apotropaïque. Entre les deux hommes, campés aux antipodes des notions d'honneur et de déontologie, ça gêne aux entournures. Forcément. Il faudra faire avec, contractuellement, jusqu'à ce que des liens du sang viennent chahuter le fil d'une histoire qu'il convient de ne pas déflorer. Juste en saluer la construction, la fluidité et le discernement. La subtilité y est en effet constante, délicatement assaisonnée, festive parfois avec l'évocation d'une bonne bouteille ou d'un plat d'exception, d'une fragrance précieuse ou d'une voiture de collection, présente même lorsque les vieilles rancœurs familiales virent à la haine planifiée. Les personnages, principaux et secondaires, s'intercalent en souplesse, se tiennent la porte ou se la claquent au nez, mais toujours décemment. Même les lourds et les cyniques, les maléfiques et les mesquins, dansent avec grâce au bord d'un volcan où tanguent leurs destins. Profiteurs jusqu'au bout, ils s'en tirent à bon compte, bénéficiant d'une écriture distinguée qui fonctionne comme un excellent chocolat noir, amer sous le palais mais apaisant à la fois. Quant aux preux, Rémi en tête, il leur faut tenir le cap, ne pas trop valser et ramer contre leur environnement proche ou leurs connexions lointaines, contre leurs convictions aussi.

Ultima s'impose comme un exemple d'équilibre entre le détail et l'élégance, voire la poésie, bercé à l'occasion par la chanson Perfect Day de Lou Reed qui revient à plusieurs reprises atténuer les vagues de violence. Dompter ainsi le mal, Ingrid Astier sait faire. Avec une maîtrise rare des ressacs (voir La vague, Les Arènes, 2019), elle laisse à notre réflexion beaucoup de questions et de pistes de recherche sur les enjeux et les desseins possiblement tordus du tout-numérique. Entre codes obligés du polar et incursions bienvenues dans le journalisme d'investigation : l'un des romans noirs francophones de l'année, assurément.

Ingrid Astier
Ultima
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 21 € ; 448 p.
ISBN: 9782072796432

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