Avant-critique Biographie

Jean Azarel, "“Vous direz que je suis tombé”. Vies et mort de Jack-Alain Léger" (Séguier)

Jack-Alain Léger chez lui, en 2003. - Photo Olivier Dion

Jean Azarel, "“Vous direz que je suis tombé”. Vies et mort de Jack-Alain Léger" (Séguier)

Il était peut-être l'un des romanciers les plus doués de sa génération et porta le gâchis au rang des beaux-arts. Jean Azarel conte le destin tragique de Jack-Alain Léger.

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Par Olivier Mony
Créé le 25.04.2023 à 09h00

Homme en fuite. Il est parti le 17 juillet 2013, en se jetant par la fenêtre du huitième étage de son appartement parisien. Sans doute, au fond, qu'il n'était déjà plus vraiment là depuis longtemps. Jack-Alain Léger, né Daniel Théron, dont les jeux dangereux avec les masques de ses identités fuyantes l'amenèrent à endosser au fil de ses réinventions les pseudos littéraires de Melmoth, Dashiell Hedayat, Eve Saint-Roch ou Paul Smaïl, avait-il jamais été vraiment là ? Homme en fuite, enfant perdu. Tour à tour dandy, clochard céleste ou imprécateur, il s'échinait à se rendre insupportable et y parvint plus souvent qu'à son tour. Il aurait voulu être prince viscontien, il finit en oracle de malheur plus proche d'un Léautaud. Entretemps, plus de quarante ans de miroirs brisés et de prophéties où la tristesse prenait (trop) souvent les atours de la haine.

On aurait tort pourtant de réduire Jack-Alain Léger, sans rien lui céder de ses excès, à cette seule figure, déjà un peu estompée de son vivant, d'histrion perpétuellement mal luné. Cécile Guilbert a écrit de lui qu'il était à la fois Don Quichotte et Falstaff. Il y a bien de cela. C'est ce type incroyable, ce destin d'un gamin d'un siècle qui n'a pas voulu de lui que nous rend aujourd'hui Jean Azarel, plume sensible des marges, dans une biographie qui a le bon goût d'en être moins une qu'une rêverie, Vous direz que je suis tombé (mot que Léger laissa à son suicide).

Il redonne à Léger sa dignité perdue et que l'on peut enfin percevoir. Celle d'un voyant. Relit ses livres et voit que Monsignore annonce les séries Netflix, que Wanderweg (ses Damnés) ouvre la voie à Littell ou Binet, qu'Autoportrait au loup est une autofiction trash qui n'a pas attendu Despentes et enfin que les pamphlets de Paul Smaïl résonnent d'une troublante actualité à l'heure du Bataclan et de la rance amertume d'un Houellebecq. Pour le reste, le mystère reste entier, serti entre la haine du père, plumitif insuffisant, et une mère suicidaire certainement trop aimée, au moins trop rêvée. Et c'est très bien comme ça. Qu'enfin rentre au royaume des livres Jack-Alain Léger et son sinistre et magnifique cortège.

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