Europe

Jeunesse : Bologne l’européenne

Le stand du britannique Walker Books, entre échanges de droits et discussions amicales. - Photo Bologna Children's Book Fair

Jeunesse : Bologne l’européenne

Du 24 au 28 mars, la Foire internationale du livre de jeunesse a permis de mesurer la vitalité des échanges de droits à l’échelle européenne, en dépit de la crise et des différences culturelles qui continuent de distinguer le nord et le sud du continent.

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Par Claude Combet
Créé le 03.04.2014 à 20h55 ,
Mis à jour le 04.04.2014 à 11h07

Dans une Foire du livre de Bologne dominée par la fiction anglo-saxonne, où en sont les échanges de droits européens ? La manifestation reste le rendez-vous incontournable des éditeurs de jeunesse, mais elle a reflété, du 24 au 28 mars, la crise qui traverse de nombreux pays. Les échanges sur les albums ou la fiction se contractent ; les tirages sont moindres qu’autrefois ; au point que se dessine parfois une Europe à deux vitesses.

Depuis cinquante et un ans, on vient à Bologne faire le plein d’illustrations à l’ombre de la grande exposition annuelle des illustrateurs consacrée au pays invité (cette année le Brésil), et l’album y est roi. Les éditeurs français restent réputés dans ce domaine pour leur grande créativité. "La France publie des albums magnifiques, de loin les plus intéressants artistiquement. Ils ne sont pas toujours commerciaux, mais c’est un vrai plaisir de les regarder et une source d’inspiration", confirme Dik Zweekhorst, de la maison néerlandaise Querido. Aux côtés des petits lapins britanniques, on voit arriver des graphismes plus abstraits. Editeur d’Hervé Tullet en Grande-Bretagne, Walker Books a fait travailler Jean Jullien. Tate Publishing, Templar, Walker Books… "Le trio s’est rendu compte que le style «cute» ne se vend plus et que l’illustration graphique à la française avait du potentiel à l’international", s’amuse un observateur.

Les liens entre éditeurs européens se resserrent. Trouver de petits éditeurs ou des niches, comme le souligne Caroline Muir, directrice des droits de Walker Books, permet de maintenir le chiffre d’affaires. "Les gros éditeurs développent leurs propres créations et ne peuvent pas tout acheter. Nous cherchons toujours de nouveaux partenaires, en France, en Allemagne", explique-t-elle. "Les Français, qui ont déjà leurs propres créations, viennent chercher chez nous des albums plus commerciaux, observe Dik Zweekhorst. Mais on sent la crise : une illustratrice comme Gerda Dendooven, publiée autrefois par les éditions Etre, est désormais considérée comme trop difficile et réalisant des scores trop modestes. Ce n’était pas le cas il y a dix ans."

 

La fiction américaine trop chère.

Cependant, l’idée de trouver un album français sortant de l’ordinaire, un coup de cœur, un pop-up, fait rêver d’un futur best-seller. "Les éditeurs viennent chercher un titre exceptionnel qui va leur rapporter. Nous avons même vendu Avant-après d’Anne-Margot Ramstein et Matthias Arégui aux Anglais (Walker Books), et l’Allemagne est un excellent partenaire", confirme Aurélie Lapautre, responsable des droits d’Albin Michel Jeunesse.

 

Au-delà, "l’Europe reste une source d’approvisionnement, surtout en ce moment, constate l’Italienne Mariagrazia Mazzitelli, directrice éditoriale de Salani. Nous avons relégué la grande fiction américaine au second plan, parce qu’elle est trop chère, et parce qu’il n’y a rien de neuf de ce côté-là. Dans un marché international tellement uniforme, je recherche le changement, une histoire surprenante qui offre une autre perspective sur le monde, un texte de qualité, même difficile."

Pour Mathilde Jablonski, responsable des droits d’Hachette Jeunesse, "quand un éditeur dit oui, il veut vraiment le livre. Mais, poursuit-elle, les tirages demandés ont baissé. En général, les discussions démarrent sur le prix de vente, c’est lui qui détermine tout". "Les prix sont plus serrés, confirme l’agente Véronique Kirchhoff (Verok Agency). L’Espagne et l’Italie cherchent des livres-objets mais, sans la France, on ne peut pas les faire, car ils réclament des prix de vente à moins de dix euros et c’est difficile de trouver le point d’équilibre. En Italie, les tirages sont passés de 3 000 à 2 000 exemplaires. Quant aux éditeurs espagnols, ils renoncent parfois à publier en catalan, et au lieu de 2 000 exemplaires, ils en demandent 1 500 ou 1 000." Et de préciser que "ceux-ci font 70 % de leur chiffre en Amérique latine. Par conséquent, ils n’acceptent plus les droits limités à l’Espagne et réclament systématiquement les droits en espagnol pour le monde entier". Responsable des droits de Gallimard Jeunesse, Anne Bouteloup dresse le même constat : "Je n’ai eu qu’un éditeur portugais mais il insiste sur les petits prix parce qu’il vend au Mozambique et en Angola. Quant à l’Espagne et l’Italie, ils achètent au compte-gouttes."

La crise n’efface pas les oppositions Nord-Sud. Au Nord, chez les Nordiques et les Anglo-Saxons, les illustrations traditionnelles ; au Sud, en France, Espagne, Italie, les graphismes plus abstraits. "Malgré un marché difficile aux Pays-Bas, les Flamands cherchent à nouveau des albums et on note un intérêt des Allemands pour les BD pour les petits", note Isabelle Darthy, responsable des droits à L’Ecole des loisirs. "Aux côtés de nouveaux artistes au graphisme très contemporain, il est important de proposer du très classique : ainsi un album du Français Jean Jullien côtoie-t-il dans son catalogue une histoire de Noël illustrée par Emily Sutton. On se doit de tout avoir, des styles différents pour des marchés très différents", plaide la pragmatique Caroline Muir.

 

La fantasy des Anglo-Saxons.

Pour la fiction, les choses sont un peu plus compliquées. Les Scandinaves et les Allemands goûtent les fictions réalistes, les Anglo-Saxons excellent dans la fantasy et le fantastique, appréciés aussi des pays latins. En fait, les choix relèvent avant tout des cultures nationales. Pour le Néerlandais Dik Zweek-horst, les ventes se font d’abord en Allemagne : "Nos fictions réalistes y sont plus faciles à vendre. Les éditeurs allemands n’ont pas peur des thèmes un peu difficiles comme la drogue, une grand-mère malheureuse…", raconte-t-il. "L’Italie et l’Espagne ont des goûts communs pour la fiction, le grand roman populaire, le thriller…", ajoute Mariagrazia Mazzitelli. "Nous avons réduit la production et sommes passés de 110 nouveautés (y compris adultes) à 95, le temps que le marché se stabilise. Nous souhaitons nous concentrer sur moins de titres afin de mieux les accompagner sans perdre d’énergie. Nous sommes attentifs au prix, à leur adéquation au marché, nous nous attachons à les faire connaître, en particulier en communiquant en direction des écoles", ajoute-t-elle.

 

 

Le dynamisme de la Pologne.

L’Europe s’ouvre aussi aux pays de l’Est, aux marchés émergents. "On ne s’en rend pas compte, mais les pays de l’Est, la Slovénie, sont très près de l’Italie et les éditeurs viennent à Bologne en voiture pour la journée", raconte Mathilde Jablonski chez Hachette Jeunesse. "Le style français reste trop compliqué pour l’Allemagne ou les pays de l’Est. Ils sont encore sous l’influence de Disney et recherchent une illustration plus traditionnelle", nuance Véronique Kirchhoff. "La Pologne est très dynamique. On ne signe pas de gros contrats, mais ils portent sur des créations intéressantes", ajoute Isabelle Darthy.

 

Sur le modèle américain, les éditeurs européens savent à l’occasion concentrer leurs forces pour démontrer leur puissance. Lundi 24 mars, deux soirées autour d’une fiction pour les adolescents ont marqué la Foire de Bologne : celle du britannique Penguin pour Half bad de Sally Green, qui paraîtra en France en septembre chez Milan, d’une part ; et celle du finlandais Tummi pour Snow white de Salla Simukka, publié en septembre par Hachette Jeunesse Roman, d’autre part, avec des plans marketing et promotionnel à l’appui. Parallèlement, alors que Mariagrazia Mazzitelli note l’irruption d’une nouvelle génération d’auteurs italiens pour la jeunesse qui ont pour nom Giuseppe Festa, Fabrizio Silei ou encore Pierdomenico Baccalario et Marco Giusti, deux auteures de la collection "R" (Laffont), l’Anglaise C. J. Daugherty, auteure de la série Night school, et la Française Carina Rozenfeld, sont en train d’écrire ensemble The thirteenth. Une histoire en deux volumes, et une création européenne, au-delà des frontières. <

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