Le regard des autres. Depuis son fauteuil, Julie, 25 ans, observe la faune de ses contemporains avec une tendresse particulière pour les cabossés, pour « tous les pèlerins qui se plaignent de pédaler dans la scoumoune » mais tentent malgré tout d'accomplir leur destinée. Ainsi le récit de ses aventures sur quatre roues alterne-t-il avec les portraits de Jean-Yves qui, le jour de son cinquantième anniversaire, croise le chemin de la malchance après une vie sans accroc ; de Félix, qui décide de devenir humoriste pour faire mentir un entourage l'ayant toujours cru dépressif ; d'Anissa lassée des blagues « beauf-friendly » de tonton René ; d'Ousmane et Valère, de Pétronille et Barnabé qui espèrent bientôt toucher du doigt le grand amour - « et du reste parce que ça commençait quand même à démanger ». Avec humour et férocité, Julie énumère leurs petites vexations et grosses galères, dans un florilège de situations cocasses et de bons mots dignes des meilleurs stand-uppers - appellation inappropriée que Julie adorerait tourner en dérision.

Brisant le quatrième mur (et bien d'autres au passage), la jeune femme s'amuse de l'absurdité de notre monde, des frontières artificielles entre beauté et monstruosité, des regards que suscitent son « fauteuil turbo », son « profil déstructuré » et sa « voix synthétique ».

Prenant Henri Bergson au mot, elle se plaît à incarner la définition qu'a donnée du comique l'éminent philosophe, soit « du mécanique plaqué sur du vivant ». Lasse de susciter la compassion, elle s'emploie, à travers ses réflexions et actions décalées, à nous déstabiliser pour mieux questionner notre normalité. À l'occasion d'une exposition, elle se pose par exemple en installation d'art contemporain pour écouter le visiteur considérant « cette œuvre déstructurée qui interroge le transhumanisme à travers une perspective de tension ternaire corps-esprit-machine ». « Parfois, je suis une œuvre d'art, parfois juste une handicapée. Comme quoi, dans l'art contemporain comme dans la vie, tout est une question de point de vue. »

Déclinant le rire sous toutes ses formes, de l'humour noir au tragicomique, de l'insolite au spirituel, J.M. Erre moque nos comportements humains si désespérément vaniteux et moutonniers et ridiculise l'esprit de sérieux qui, en faisant préexister aux hommes leurs valeurs morales, nous déshumanise.