Avant-critique Bande dessinée

Vie et mort dans le bayou. Otis est un gamin noir et insouciant, préférant jouer dans les herbes hautes de son petit village de Louisiane que d'aller à l'école. Surtout quand son copain Red, un petit Blanc généreux mais roublard, vient faire les quatre cents coups avec lui. Mais deux événements vont venir bouleverser leur quotidien, déjà tendu par la discrimination de cette Amérique des années 1930 : la disparition d'un habitant noir du village et l'arrivée d'une jeune fille blanche de leur âge, à la constitution fragile. Avec ses bouilles expressives aux grands yeux ronds, ses aquarelles délicates et son récit à hauteur d'enfant, on pourrait être tenté de classer Swamp dans le rayon jeunesse. Ce serait toutefois trop limitatif, tant le talent de Johann G. Louis est de parler à tous, à travers cette histoire qui convoque les grands romans américains d'apprentissage d'avant-guerre. En effet, malgré ses héros d'une dizaine d'années qui, en même temps qu'ils s'émancipent par leurs jeux, mettent au jour la cruauté des élites blanches et la colère sourde des employés noirs, ce roman graphique brosse le portrait sombre d'un Sud américain déliquescent, malade de son racisme, et s'adresse ainsi aux ados et adultes. D'autant plus que l'auteur ne cède pas à la facilité du happy end et ne prétend pas produire une reconstitution historique à vocation documentaire. Il préfère immerger le lecteur dans les eaux saumâtres du bayou, où règnent les alligators et les serpents venimeux, et où l'on trouve parfois le cadavre d'un homme noir ou une cagoule oubliée par le Ku Klux Klan. Par un rythme lancinant, par sa façon pointilleuse de dessiner les troncs contrariés et les racines noueuses des arbres, par ses mille hachures jouant des ombres et de la profondeur sur ses maisons ou ses jardins, par quelques lignes d'un dialogue parfois très allusif, l'auteur crée une atmosphère mi-langoureuse mi-funèbre. Lourde de l'orage à venir et des tragédies à révéler.

Après avoir conté la vie de Fréhel (éditions Nada, 2018) et adapté l'autobiographie de Susie Morgenstern, La petite dernière (Dargaud, 2021), Johann G. Louis offre ici son album le plus abouti, vibrant d'une émotion à la fois contenue et à fleur de peau, comme le Strange Fruit de Billie Holiday.

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