L'été où Paul est apparu. C'est peut-être ça finalement le propre des grands écrivains. Être à la fois le même, chanter dans son arbre, et tout à fait différent. Dans un sublime accomplissement de sa liberté d'auteur. Ainsi, les lecteurs tombés sous le charme puissant de la beauté mélancolique et méditative des romans de Jón Kalman Stefánsson, d'Entre ciel et terre (Gallimard, 2010) à D'ailleurs, les poissons n'ont pas de pieds (Gallimard, 2015), Ásta (Grasset, 2018) ou Ton absence n'est que ténèbres (Grasset, 2022), risquent d'être surpris, peut-être même décontenancés, par ce nouvel ouvrage, Mon sous-marin jaune − pour la première fois à l'enseigne des éditions Christian Bourgois où le romancier islandais a suivi son éditeur de toujours, Jean Mattern. Étonnés donc, mais certainement in fine aussi séduits, emportés par une sorte de prestidigitation romanesque, qu'ils le furent avec les livres précédents. La musique a changé (moins Georges Delerue, plus Nino Rota), mais l'inspiration au fond, reste la même. Les motifs aussi, portés cette fois-ci au paroxysme de la joie de la fiction.

Un jour d'août 2022, un écrivain qui pourrait bien être Jón Kalman Stefánsson, est persuadé d'avoir croisé Paul McCartney dans un parc londonien. Cette rencontre, l'envie de s'adresser à son idole, va être le point de départ d'un étrange voyage qui promènera le lecteur de la Mésopotamie du V^e siècle av. J.-C. à la ville islandaise de Keflavík dans les années 1980 et donc au Londres d'aujourd'hui. Porté par cette épiphanie sur fond de Beatles, le héros documente les étapes de sa vie, la mort de sa mère durant son enfance, le silence du père, celui de la Bible, la beauté de la nature, des fjords de ce bout du monde où il grandit, des livres découverts avec la ferveur de qui veut être sauvé. Plus tard, il croisera d'autres charmants irréguliers de la vie, un moniteur d'auto-école, un chauffeur de taxi et même Ringo Starr, qui ne sera pas exactement celui que l'on croit...

Entendons-nous, cette folie-là, comme la charité, est bien ordonnée, ou plutôt précisément désordonnée. La maestria romanesque de Stefánsson est ici à son plus vif, pour son livre à la fois le plus extraverti et le plus personnel. Un tour de force qui n'oublie pas la grâce.