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Jonathan Galassi : le roman des gentlemen éditeurs

Jonathan Galassi le 27 juin à Paris. - Photo Olivier Dion

Jonathan Galassi : le roman des gentlemen éditeurs

Le président de la prestigieuse maison américaine Farrar, Straus and Giroux signe, après quarante-trois ans de carrière, un premier roman à clé au cœur de l’édition littéraire new-yorkaise.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 19.08.2016 à 17h00 ,
Mis à jour le 20.03.2017 à 15h37

Quand on est l’éditeur de Jonathan Franzen, il n’est pas simple d’apposer son nom sur la couverture d’un livre de fiction. Jonathan Galassi a attendu l’âge de 65 ans pour publier Muse, son premier roman, qui paraît chez Fayard le 31 août. "Après avoir passé la soixantaine, j’ai voulu me donner la permission d’écrire, explique le puissant président de Farrar, Straus and Giroux (FSG) depuis trente ans. Je ne l’ai pas fait relire aux auteurs amis, j’écrivais sans un regard en arrière pour tuer la part critique en moi-même." Cesser un moment d’être éditeur pour devenir écrivain : un exercice schizophrène auquel s’était pliée "une de [ses] amies", de l’autre côté de l’Atlantique, Teresa Cremisi, l’ancienne présidente de Flammarion en mai 2015, avec son premier roman, La triomphante.

Comme un cartoon

Entré dans l’édition en 1973, après des études de lettres, Jonathan Galassi, arrivé chez FSG après s’être fait licencier de Random House, a toujours écrit en parallèle. Il a publié trois recueils de poésie et traduit Eugenio Montale et Giacomo Leopardi. Mais Muse constitue son premier saut dans la fiction, même si cette dernière rappelle sa réalité. "Je n’aurais pas pu écrire mes Mémoires, lance-t-il en français, dans les salons d’un hôtel de Saint-Germain-des-Prés où il enchaîne les interviews. Ce roman a un fond autobiographique, mais j’ai voulu tirer le texte vers l’élégie et la satire, je l’ai pensé comme un cartoon."

Muse raconte l’histoire de Paul Dukach, jeune éditeur tiraillé entre ses deux mentors et obsédé par la poétesse Ida Perkins. Un roman à clé où l’on reconnaît les pontes de l’édition américaine : Roger Straus sous les traits du charismatique et séducteur Homer Stern, et James Laughlin, de New Directions, dans le délicat aristocrate Sterling Wainwright. Il décrit le glamour d’une édition new-yorkaise disparue, à l’aube des grandes concentrations, cette "course aux rapprochements et aux effets d’échelle qui balayait le monde du livre", écrit-il, avec le basculement numérique qui point à l’horizon sous la forme de Medusa, un "rapace libraire en ligne". Il chante l’amour du papier avec "son exquise odeur de moisi et de poussière", campe des éditeurs qui discutent à-valoir ou conspirent dans les restaurants chics où l’on salue rivaux et agents ("ces parasites qui interféraient dans ses relations avec sa propriété personnelle - c’est-à-dire ses auteurs").

On croise au détour d’une allée de la Foire de Francfort, qui occupe un savoureux chapitre du roman, Antoine Gallimard ou une certaine Teresa. On n’échappe pas, à propos des cessions de droits, à la saillie sur les éditeurs français, "toujours paternalistes, [qui] faisaient partie des plus gourmands, se réservant 50 % de la somme". Jonathan Galassi dépeint un monde à la Mad Men de "gentlemen arnaqueurs" qui savaient "où l’amitié cessait et où le commerce l’emportait", comme le décrit son narrateur.

"Précieux prix unique"

Pour le président de FSG, le marché est "déstabilisant". Si "le travail de l’éditeur reste inchangé, un même processus de sélection, une question de goût et de jugement, et un même rapport avec l’auteur pour travailler sur les textes", il constate "la transformation totale de la façon dont les livres sont produits, marquetés, distribués et vendus".

Un des principaux personnages de son livre, Morgan, puissante libraire indépendante, va introduire Paul Dukach dans le monde des lettres et le guider. "Contrairement aux chaînes directement impactées par Amazon, les grandes librairies indépendantes se portent bien car elles ont fédéré autour d’elles une communauté. Mais elles ne représentent qu’une petite part de marché et ne sont pas suffisantes pour une industrie", précise Jonathan Galassi, s’inquiétant de la polarisation des ventes liée à la question de la "discoverability" des titres intermédiaires. Un problème moindre en France selon lui, grâce au "précieux prix unique", qui explique que Paris soit "plein de librairies" tout comme "l’ensemble du pays" où il a passé une partie de l’été, en attendant fébrilement sa première rentrée littéraire, de l’autre côté du miroir.

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