Grand entretien

Julien Papelier (Média-Participations) : « L'écrit représente 60 % de notre chiffre d'affaires »

Julien Papelier, directeur général de Média-Participations - Photo Chloé Vollmer-Lo

Julien Papelier (Média-Participations) : « L'écrit représente 60 % de notre chiffre d'affaires »

Dix-huit mois après avoir pris la tête du 4e groupe éditorial français, le directeur général de Média-Participations (Dargaud, Le Seuil, Dupuis, La Martinière, Michelin...) partage sa vision et sa stratégie d'entreprise pour accompagner l'évolution du marché. 

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Par Éric Dupuy
Créé le 04.06.2025 à 20h00

Livres Hebdo : Vous êtes arrivé dans le groupe Média-Participations il y a onze ans et en tenez les rênes depuis dix-huit mois. Comment est-il structuré aujourd'hui ?

Julien Papelier : Média-Participations s'appuie sur un actionnariat d'une grande stabilité, avec Vincent Montagne et sa famille, actionnaires majoritaires. D'autres investisseurs privés et institutionnels sont engagés à nos côtés dans une démarche d'accompagnement à très long terme. Nous disposons ainsi des meilleurs atouts pour nous développer.

Édition bien sûr, mais également jeux vidéo, de société, production audiovisuelle ou encore parcs d'attractions... Le groupe est très diversifié. Comment y évolue la place du livre ?

Notre groupe est en effet un peu à part dans le paysage éditorial français. Nous développons depuis longtemps une stratégie de déploiement à 360° de nos créations, qui s'étend sur de multiples supports : l'audiovisuel, le jeu vidéo et de plateau, les parcs d'attractions, les produits dérivés et le digital. Le livre reste néanmoins le cœur du réacteur, en tant que laboratoire de création, car au commencement de tout il y a l'acte créatif, qui passe par l'écrit, et qui représente toujours 60 % de notre chiffre d'affaires.

Cette diversification est-elle une force pour la branche livre ?

C'est une force extraordinaire parce que cela nous permet de rêver plus grand. La richesse de nos différents métiers ouvre énormément d'opportunités sur tout ce que nous développons : des perspectives internationales d'abord, puisque nous sommes présents aux États-Unis avec Abrams Books, et en Allemagne avec Knesebeck. Notre bande dessinée best-seller, La route de Manu Larcenet, adaptée du roman de Cormac McCarthy paru aux Éditions de l'Olivier, a ainsi été lancée avec grand succès aux États-Unis. Des perspectives en termes d'adaptation ensuite : lorsque nous adaptons Thomas Piketty en bande dessinée pour les enfants ou pour les plus grands, nous donnons un écho supplémentaire à l'auteur et à sa pensée en touchant un plus large public.

« Le temps passé sur les écrans nous oblige à créer un lien direct avec le consommateur final »

Et bien sûr des adaptations audiovisuelles, dont l'impact sur les ventes de livre ne se dément pas. Nos séries jeunesse - Yakari, Les Schtroumpfs, Marsupilami pour les plus anciennes, Louca ou Les Sisters pour les plus récentes - sont ainsi dynamisées par des productions d'animation de qualité qui leur permettent sans doute de résister mieux que d'autres à l'usure du temps. Enfin, ce raisonnement multisupport nous permet aussi d'attirer des talents, qui nous rejoignent pour que leurs créations puissent « voyager ».

Quelle est votre feuille de route, et votre vision, pour les prochaines années ?

Mon principal enjeu est d'aider les équipes à consacrer du temps à ce qui est essentiel, en premier lieu la création car nous sommes sur un marché d'offre. Les modes de consommation changent. Les écrans sont omniprésents et pourtant les signes d'un intérêt persistant des nouvelles générations pour la lecture sont bien là : il suffit de voir la proportion de jeunes au Festival du Livre de Paris... C'est vrai aussi pour l'audiovisuel, avec un raccourcissement des formats, un changement des interfaces et supports et un marché plus international. Le temps passé sur les écrans nous oblige à créer un lien direct avec le consommateur final, sans quoi nous laissons cette médiation aux Gafa, ce qui est très dangereux pour nous tous. Dans ce contexte changeant, je pense que la clé reste l'acte de création, le contenu, associé à la capacité à le vendre. Dans le métier d'éditeur, il y a un rôle d'accompagnement de la création, mais aussi un rôle de transmission essentiel. Ce rôle implique des compétences de vente, de communication, de marketing qui évoluent constamment. Il faut intégrer le digital dans nos pratiques et réinventer sans cesse notre façon de faire pour intégrer les dernières techniques de référencement, d'acquisition et d'influence. L'enjeu est donc de libérer du temps à mes équipes au profit de la création et la vente. C'est pourquoi nous avons procédé à des ajustements dans l'organisation du groupe, comprenant entre autres la mutualisation d'un certain nombre de services communs, comme l'informatique ou la finance.

On observe en effet depuis quelques mois des changements structurels dans le groupe. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous faisons évoluer un groupe qui a beaucoup grandi en très peu de temps et était encore structuré comme une holding avec beaucoup de filiales très autonomes. Cette organisation générait parfois des répétitions dans des métiers où cela n'avait pas forcément de sens - par exemple plusieurs DSI qui ne se parlaient pas assez. Nous œuvrons donc à rendre le groupe plus agile, plus intégré et plus coopératif, avec deux idées principales. Nos filiales doivent pouvoir mieux coopérer pour exploiter toutes les ressources du groupe et renforcer encore notre stratégie 360°. On essaie de mieux communiquer entre nous. Nous avons mutualisé certaines fonctions qu'il ne nous semblait pas essentiel de reproduire dans chaque filiale, tout en veillant à conserver ce qui a toujours fait la force et l'originalité du groupe : le principe de subsidiarité. Si pour signer un contrat, il faut remonter jusqu'à la direction du groupe, on n'innovera jamais. Nos filiales et nos éditeurs conservent donc un pouvoir entier de création, de prise de risque et d'autonomie.

« Il n'est pas question de mélanger les équipes éditoriales ni de diluer les identités de marques »

Cette stratégie vous a amené à créer un nouveau secteur consacré à l'illustré, regroupant notamment Fleurus et La Martinière. N'est-ce pas mélanger des choux et des carottes ?

Nous faisons face à des mastodontes comme Editis et Hachette, qui sont leaders sur le secteur de l'illustré. Il y avait deux équipes dans le groupe qui, individuellement, naviguaient sur des eaux un peu tempétueuses face à des concurrents bien plus costauds. Ce que nous avons décidé, c'est de mettre en commun un certain nombre de ressources pour que les équipes de Fleurus et de La Martinière, deux marques aux identités et aux approches très différentes, partagent davantage sur le plan de l'analyse de marché et des actions à mettre en place pour mieux coordonner leurs efforts. Cela leur permettra aussi de gagner en efficacité dans les domaines de la fabrication et de la commercialisation. Il n'est pas question de mélanger les équipes éditoriales ni de diluer les identités de marques. Les équipes sont simplement encadrées par un spécialiste du domaine, pour gagner en hauteur de vue, en vision stratégique et en coordination.

Les contestations sociales au sein du groupe ont été plus importantes ces derniers mois que par le passé. Les entendez-vous, les comprenez-vous et comment y répondre ?

C'est inhérent au changement dans les entreprises : tout le monde l'appelle, personne n'aime le vivre. Ce que nous souhaitons, c'est que les équipes des différents labels aient du temps à consacrer à la recherche de textes intéressants et de qualité, à rencontrer suffisamment d'auteurs, à réfléchir à la façon de défendre leurs œuvres et d'identifier le public qui sera intéressé. Je dis à mes équipes : ne vous préoccupez pas de la couleur des murs, de la version de Windows que vous allez avoir, du choix du fournisseur de papier. Préoccupez-vous des auteurs et des autrices, du type de texte qu'on a envie de publier et de la façon dont vous allez les défendre. Les auteurs viennent chez nous parce que nous sommes capables de bien défendre leurs livres et de bien les vendre. On a parfois l'impression que l'enjeu de vendre est un sujet un peu tabou dans le livre, c'est pourtant essentiel. Si le livre n'est pas acheté, n'est pas vendu, il n'y a pas de libraire, pas d'éditeur, pas d'auteur qui puisse en vivre. Donc mon travail, c'est de trouver un chemin qui permette de garantir un avenir aux 2 000 personnes dont j'ai la responsabilité. C'est aussi ce qu'attendent mes actionnaires. Et c'est vrai que cela demande beaucoup d'explications. 

« Nous sommes face à une nouvelle génération qui s'exprime différemment et qu'il faut approcher autrement »

Comment, selon vous, la fonction de dirigeant d'un grand groupe éditorial a évolué ces dernières années ? Qu'est-ce qui diffère par rapport à la même fonction il y a quinze ou vingt ans ?

À mon sens, tout est devenu plus complexe dans la vente de livre. Sans parler de l'irruption de l'IA... Avant, ce n'était pas forcément simple, mais une bonne critique dans une émission prestigieuse de radio ou de TV, une belle avant-critique dans Livres Hebdo, quelques articles dans la presse de référence et un passage à la télévision pouvaient suffire. Aujourd'hui, il faut tenir compte de la diversité des réseaux sociaux, des sphères d'influence... C'est vrai aussi en ce qui concerne les talents, les auteurs : nous sommes face à une nouvelle génération qui s'exprime différemment et qu'il faut approcher autrement. L'arrivée de Glenn Tavennec [ancien éditeur chez Robert Laffont passé directeur de label au Seuil] sur Verso, par exemple, a été très intéressante pour tous car il a apporté une autre manière de concevoir un catalogue et une autre façon de défendre ses créations et ses auteurs. Notre enjeu est d'accompagner ces évolutions de marché, qui doivent se transformer en évolutions de nos façons de travailler, sans ajouter à l'inquiétude des équipes. Les défis tournent autour des talents et des méthodes de travail. On en revient encore et toujours à ces fondamentaux : la création et la vente, les deux gestes essentiels de l'éditeur. Lorsqu'un auteur nous confie un texte, ce n'est pas juste pour que le livre existe, c'est pour qu'il soit lu.

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