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Justice : des règles pour l’enquête sous pseudonyme

La jurisprudence de la Cour de cassation sur le journalisme infiltré est maintenant bien établie. - Photo olivier dion

Justice : des règles pour l’enquête sous pseudonyme

L’arrêt rendu le 26 octobre par la Cour de cassation à propos d’un livre-enquête sur le Front national valide une nouvelle fois la possibilité pour des journalistes de travailler sous une identité d’emprunt, en en clarifiant les conditions.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 18.11.2016 à 00h32 ,
Mis à jour le 18.11.2016 à 10h10

L’enquête sous pseudonyme de l’auteure de Bienvenue au Front : journal d’une infiltrée (Jacob-Duvernet, 2012) a eu pour "seul objectif d’informer et avertir ses futurs lecteurs en rapportant des propos tenus au cours de débats ou d’échanges informels, dans le but de mieux faire connaître l’idéologie" du Front national : dans un arrêt rendu le 26 octobre, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formulé par le parti d’extrême droite et mis un terme à la procédure pour escroquerie intentée contre Claire Checcaglini. Celle-ci avait adhéré au FN sous une identité d’emprunt et enquêté pendant huit mois. "Les agissements dénoncés [par le FN, NDLR] se sont inscrits dans le cadre d’une enquête sérieuse, destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique", estime la Cour, confirmant l’ordonnance de non-lieu et l’arrêt d’appel ayant déjà rejeté la plainte du Front national. Une procédure en diffamation a aussi tourné court.

Contribuer au débat public

Le procédé de l’enquête sous pseudonyme est ainsi "justifié quand il est le seul moyen d’accéder à l’information et pour autant qu’il ne stigmatise pas des individus mais se contente d’épingler un système opaque, qu’il ne serait pas possible de dévoiler sans ce subterfuge", explique Me Léa Forestier, avocate de l’auteure. Le Journal d’une infiltrée visait à vérifier la réalité de l’entreprise de normalisation du Front national, nettoyé de ses outrances racistes par sa présidente. Son objectif n’aurait pu être atteint sous la véritable identité de la journaliste, qui n’aurait recueilli que les habituels propos officiels. D’autre part, Claire Checcaglini s’est gardée de révéler les noms des militants de base qu’elle a croisés, afin d’éviter toute atteinte à la vie privée. "En revanche, les personnalités ayant déjà une existence publique pouvaient parfaitement être citées", indique Me Léa Forestier.

La journaliste n’a pas davantage exploité le listing de 500 adhérents qui lui avait été remis, ce que le FN considérait comme une escroquerie, délit qu’il prétendait étendre à l’ensemble des propos recueillis sous pseudonyme. "Contribuer au débat public en s’intéressant aux idées des militants, à l’idéologie et à la stratégie d’un parti politique relève du droit à l’information et de la liberté d’expression et non de l’escroquerie", note le juge d’instruction dans l’ordonnance de non-lieu, ajoutant que le Front national n’est nullement propriétaire des idées de ses adhérents.

Avec ce nouvel arrêt, la jurisprudence sur ce type d’enquête est maintenant bien établie. En mars dernier, la Cour de cassation avait rendu une décision similaire suivant une plainte pour atteinte à la vie privée et escroquerie contre un reportage en caméra cachée et sous pseudo dans les milieux catholiques traditionalistes, dossier également plaidé par le cabinet Bourdon & Forestier. En 2014, le FN avait annoncé une plainte contre un autre reportage en journalisme infiltré dans une section du Nord, mais il n’y en a plus trace selon son avocat, Me David Dassa-Le Deist.

Le procédé a aussi été attaqué en diffamation, sans succès. "Bien qu’ils impliquent par nature une part de dissimulation, les procédés d’infiltration et de caméra cachée ne sont pas en eux-même exclusifs de bonne foi […]. Ils peuvent être admis s’ils sont un moyen nécessaire pour révéler au public des faits relevant d’une information légitime sur un sujet d’intérêt général qui n’aurait pu être découvert sans ces procédés", estimait la 17e chambre du tribunal correctionnel concernant ce même reportage chez les traditionalistes, qui s’estimaient diffamés. La Cour européenne des droits de l’homme l’a également admis à propos d’une enquête sur les courtiers en assurance en Suisse.

Dans la presse ou l’édition, ces enquêtes ont permis de révéler des faits devenus des débats de société : on peut rappeler 10 jours dans un asile, le reportage de la journaliste américaine Nellie Bly qui s’était fait interner dans un hôpital psychiatrique américain en 1887, repris l’an dernier aux éditions du Sous-sol et cette année chez Points, ou Tête de Turc du journaliste Günter Wallraff sur les travailleurs immigrés en Allemagne, en 1986, ou plus récemment En Amazonie : infiltré dans le "meilleur des mondes" de Jean-Baptiste Malet (Fayard et Pluriel), sur les conditions de travail dans les entrepôts d’Amazon France.

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