Jane sans Calamity. On ne connaît pas Calamity Jane, on connaît sa légende, celle qu'elle a elle-même contribué à forger. « J'ai connu la Ruée vers l'or, j'ai participé à des expéditions, j'étais amie avec Wild Bill et surtout, j'ai vécu libre », a-t-elle écrit. La vraie Martha Jane Cannary, née en 1852 dans le Missouri, reste un mystère dans lequel s'est plongée Justine Niogret avec Calamity Jane, un homme comme les autres, un roman vertigineux, à la frontière du poème halluciné et de la confession d'outre-tombe.
La célèbre pionnière de l'Ouest, vêtue de ses cuirs de daim, de ses franges, de son chapeau apparaît déjà morte, s'observant vivante, depuis un espace-temps qui ressemble à un purgatoire mental, à des limbes mêlés de souvenirs vécus, à une tente de sudation chamanique. Elle se retrouve dans une chambre de bordel, un saloon vide, bivouaque, repasse ses jupons. Chaque fois, ou presque, un étrange personnage la rejoint : Khamsa VéNazar, un homme à la peau couleur bronze, aux pupilles fendues comme celles d'un serpent, qui n'attend rien d'elle sinon la vérité. On cherche à travers ce nom à consonance orientale à élucider sa fonction : Khamsa, la main protectrice, et Nazar, le regard ?
Khamsa VéNazar n'est ni juge, ni sauveur : il attend, observe, écoute Jane jusqu'à ce qu'elle cesse enfin de raconter ses légendes de foire - comme ce fameux sauvetage du capitaine Egan, qui serait à l'origine du mythe et du nom de Calamity. Il y est question d'alcool, de mensonges, du corps usé de la femme que fut Jane. Khamsa VéNazar revient à la charge, encore et encore, en accoucheur de l'âme, tombeur de masque, pour la faire parler d'un fameux « enfant »...
Connue pour ses premiers romans aux frontières de la fantasy - Chien du heaume (Mnémos, 2009, prix Imaginales 2010, Grand Prix de l'imaginaire 2010), la quête d'une guerrière à la recherche de son nom, et sa suite Mordre le bouclier (Mnémos, 2011, prix Utopiales 2012) -, Justine Niogret, quadragénaire bretonne installée dans le Sud de la France, signe un roman dont le fond et la forme sont indissociables. Cette dernière peut rappeler l'apparition de Méphistophélès dans le Faust de Goethe, les délires biblico-cosmiques de La tentation de saint Antoine de Flaubert ou les paraboles de Zarathoustra chez Nietzsche. Elle y développe un voyage intérieur, le regard porté sur une vie fabriquée, une existence d'homme pour être une femme, une odyssée dans la psyché d'une personnalité trouble. Le texte est puissant, lyrique, hypnotique parfois. Au risque de moins embarquer ceux qui connaissent moins les -quarante-sept années de vie de la pionnière. Car ce livre n'est pas une biographie. Il ne parle pas de Calamity Jane. « Il parle du prix colossal qu'on doit payer pour faire ce premier pas en avant, quand on doit changer de vie. Ce premier regard dans le miroir quand on doit se voir en face. Le courage absolu de faire l'un et l'autre. Il parle de la brutalité qu'on s'impose pour ne pas être doux », expose Justine Niogret en préambule. C'est un livre dur, parce que « franc »- le lecteur est prévenu.
Calamity Jane, un homme comme les autres
Au diable Vauvert
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19 € ; 176 p.
ISBN: 9791030707335