Troisième lieu

La bibliothèque « comme à la maison »

La médiathèque de Maure-de-Bretagne. - Photo DR

La bibliothèque « comme à la maison »

En Bretagne, plusieurs établissements ouverts récemment proposent des interprétations très inspirantes du concept de « troisième lieu ». Retour sur ces expériences présentées lors d’une journée d’étude organisée à Vannes le 21 juin.

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Par Véronique Heurtematte,
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 11.10.2013 à 23h52

Le « troisième lieu » est sans conteste la grande tendance de ces dernières années en matière de projets de bibliothèque. Mais, à le convoquer si souvent, sait-on ce que recouvre réellement ce concept élaboré par le sociologue américain Ray Oldenburg dans les années 1980 ? A l’occasion du Salon du livre de Vannes, le groupe Bretagne de l’Association des bibliothécaires de France organisait le 21 juin dernier une journée professionnelle qui a été l’occasion de mieux cerner cette notion et de découvrir l’interprétation qu’en ont fait quatre bibliothèques ouvertes dernièrement dans la région. Dans son intervention très convaincante, Mathilde Servet, conservatrice à la Bibliothèque publique d’information (BPI), auteure d’un mémoire de fin d’études du diplôme de conservateur à l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib) consacré au sujet, a rappelé les grandes caractéristiques établies par Ray Oldenburg pour définir le troisième lieu, complémentaire du premier lieu (le foyer) et du deuxième (le travail) : un espace de rencontres et d’échanges ayant une fonction de mixité sociale, véhiculant des valeurs positives et le « vivre-ensemble ». Pour le sociologue américain, les cafés, les pubs, les associations ou encore la place du marché jouaient traditionnellement ce rôle de « la maison loin de la maison ». «C’est un lieu neutre, gratuit, où tout le monde est le bienvenu et se trouve sur un pied d’égalité », explique Mathilde Servet. Une définition qui s’applique facilement aux bibliothèques, pour lesquelles la notion de troisième lieu constitue, selon Claude Poissenot, sociologue et maître de conférences à l’IUT Nancy-Charlemagne, qui introduisait la journée, une réponse adaptée en cette période marquée par «uneindividualisation de plus en plus forte des relations » et qui permet de «penser la bibliothèque à partir des gens et non plus des collections, et de proposer un espace où se retrouver et où socialiser la solitude ».

La médiathèque de Saint-Aubin-du-Pavail.- Photo DR

Un ancrage physique important.

Pour que les bibliothèques puissent jouer pleinement le rôle de troisième lieu dans la cité, elles doivent répondre à certaines règles. La réflexion sur la conception physique de l’espace est primordiale. La bibliothèque doit être esthétique, mais aussi accueillante et fonctionnelle. Au Relecq-Kerhuon, commune de 11 000 habitants limitrophe de Brest, Virginie Even, directrice de la bibliothèque François-Mitterrand inaugurée en juin de cette année, a été attentive à cette dimension dès l’origine du projet. « Nous avons réfléchi aux moindres détails, de l’implantation des prises électriques au design des patères. Nous avons réussi à imposer de pouvoir choisir le mobilier indépendamment des architectes, ce qui n’est pas toujours facile, et nous avons opté pour des meubles sur roulettes qui rendent les espaces modulables. » Dans cette commune sans réel centre-ville, souffrant d’une image de cité-dortoir, le principal enjeu de la bibliothèque était de servir d’équipement culturel structurant invitant, les habitants à se réapproprier leur ville. Le plateau de plain-pied de 1 100 m2 est organisé en espaces aux ambiances différenciées, dotés de noms plus attractifs que les traditionnelles sections : « s’informer » pour la presse, « rêver » pour la fiction, « comprendre » pour les documentaires, etc. Un café ouvert sur un patio où l’on peut s’installer sur des chaises longues, et pouvant accueillir les animations, constitue un espace de convivialité. La bibliothèque a été construite dans un pôle qui abrite une salle polyvalente et une halte-garderie. Le principe de regroupement est un choix de plus en plus fréquent. La médiathèque de Fougères (prix Livres Hebdo des Bibliothèques 2012 de l’Espace intérieur) a ainsi ouvert en septembre 2009 sur l’emplacement de l’ancienne gare où elle jouxte un cinéma, une maison des associations, un centre commercial et le centre des impôts. Située à cinq minutes à pied du centre-ville et à moins de quinze minutes des collèges et lycées de la ville, la bibliothèque a rapidement connu une forte fréquentation, en particulier des jeunes : 240 000 prêts annuels, 125 000 visiteurs par an.
La bibliothèque François-Mitterrand au Relecq-Kerhuon.- Photo DR

A Maure-de-Bretagne, une communauté de huit communes de 8 200 habitants située aux confins du département d’Ille-et-Vilaine, le principe a été poussé encore plus loin. La médiathèque est l’un des éléments du pôle social et culturel baptisé « le Chorus ». Inauguré en septembre 2012, il centralise les services d’action sociale, la PMI, un point information jeunesse, une halte-garderie, une crèche et la bibliothèque-ludothèque. Dès l’origine, les élus ont eu la volonté forte que les différentes structures travaillent ensemble et que le public circule de l’une à l’autre. A l’entrée du bâtiment, une grande banque d’accueil sert de central téléphonique pour l’intercommunalité : les personnels, dont les bibliothécaires, peuvent être amenés à répondre à toutes sortes de questions sur la vie scolaire, le logement, etc. Le hall, passage obligé pour accéder aux différents services, est vite devenu un lieu de rendez-vous : pendant le dernier tournoi de Roland-Garros, les usagers venaient regarder les matchs sur les deux postes de télévision qui y sont installés en sirotant un café pris au distributeur de boissons. La bibliothèque n’est ouverte que 20 heures par semaine, mais les visiteurs peuvent y accéder pendant la totalité des horaires d’ouverture du Chorus, feuilleter la presse en attendant un rendez-vous avec l’assistante sociale ou emprunter un document sur les automates de prêt. A part quelques vols de DVD, cette utilisation en libre-service ne pose pas de problème. « Les gens préfèrent venir pendant nos heures d’ouverture pour voir du monde », relève Emmanuelle Préau, responsable de la bibliothèque.

Une forte implication des usagers.

Une fois le décor planté, la mission, essentielle, est d’en faire un vrai lieu de vie dans lequel les gens se sentent bien. Avec ses 160 m2, la médiathèque de Saint-Aubin-du-Pavail, petit bourg de 744 âmes près de Rennes, ouverte en septembre 2011, peut réellement accueillir son public « comme à la maison ». C’est d’ailleurs ainsi que s’intitulait le projet imaginé par Gildas Carillo, son responsable. Unique salarié de la structure, ce dernier a fédéré autour de la bibliothèque un réseau de bénévoles très investis. Le bénéfice est double : permettre aux habitants de s’impliquer dans la vie de l’établissement et proposer un programme d’activités et d’animations impressionnant pour une bibliothèque de cette taille : aide aux devoirs, ateliers de couture ou de loisirs créatifs, club de lecture, et même des séances de massage shiatsu ! A cette occasion, les participants pouvaient feuilleter une sélection de documents sur le bien-être et la nutrition, et déguster une tasse de thé en attendant leur tour. «Grâce à mes relations, j’équilibre entre les animateurs rémunérés et ceux qui interviennent gratuitement. Ainsi, notre budget animation n’est que de 3 500 euros, ce qui est très raisonnable », précise Gildas Carillo. <
11.10 2013

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