Juridique

La censure sur le banc des accusés

La censure sur le banc des accusés

Le cinéma est l'un des arts les plus exposés à la censure. Deux livres reviennent sur le 7e art confronté régulièrement à la justice, souvent pour des scènes de sexualité.

Les publications sur la censure abondent cette année, au fur et à mesure que la société française débat de la liberté d’expression et de ses limites, mais surtout parce que des chercheurs ont enfin accès à de nombreuses archives et informations jusqu’ici inédites.

J’ai déjà recensé dans le cadre de ce blog, dans deux chroniques au printemps dernier, la sortie du livre d’Anne Urbain-Archer intitulé L’Encadrement des publications érotiques en France (1920-1970) et de celui Jean-Baptiste Amadieu sur Le Censeur critique littéraire (Hermann). Ces deux volumes sont consacrés à la l’édition de livres. 

Mais deux récents essais s’intéressent cette fois au cinéma, dont le régime d’interdiction est tout aussi riche d’enseignements pour l’ensemble des professionnels de la culture, comme pour tous les citoyens responsables.

C’est ainsi qu’Arnaud Esquerre vient de livrer Interdire de voir sous-titré Sexe, violence et liberté d’expression au cinéma (Fayard). Le sociologue qu’est Arnaud Esquerre, chargé de recherche au CNRS et directeur de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS – EHESS, CNRS, Inserm, Paris 13) a assisté aux débats en huis clos des membres de la Commission de classification des films.

Car le cinéma bénéficie d’un régime administratif particulier. Il existe une obligation de mention de l’âge (douze, seize et dix-huit ans) à partir duquel les spectateurs sont admis. Le Code du Cinéma et de l’Image Animée, qui, en 2009, a remplacé le Code de l’industrie cinématographique régit ce système de « visas de censure », délivrés par le ministre de la Culture après avis d’une commission spéciale. Il y a peu, c’était le bien-nommé « ministre de l’Information », autrement dit le ministre de l’Intérieur, qui tranchait…

À la suite de la condamnation du film Baise-moi de Virginie Despentes, le régime de classification a été modifié par un décret du 12 juillet 2001. Il existe donc désormais une catégorie de films interdits aux moins de 18 ans, en sus de la catégorie des films dits « X » créée en 1975 dont les producteurs ne bénéficient pas d’aides et doivent s’acquitter de taxe. En 2008, le Conseil d’État a confirmé la décision d’interdire le film Quand l’embryon part braconner, à tous les mineurs, sans pour autant l’inscrire sur cette catégorie spéciale. Il avait été relevé que la commission de classification avait indiqué dans son avis que ce film « enchaîne les scènes de grande violence, de torture et de sadisme et présente une image des relations entre les êtres et entre les sexes fondée sur l’enfermement, l’humiliation et la domination de la femme ».

En réponse à la multiplication d’actions judiciaires intentées par des associations bien-pensantes, a été initiée, en 2015, une réflexion sur les règles encadrant la diffusion des œuvres filmées, réflexion à l’initiative de la ministre de la Culture et de la Communication. L’objectif affiché était de faire en sorte que « la liberté de création soit consacrée dans la loi contre tous ceux qui veulent imposer contre la tentation de leurs convictions, de leur idée de la morale ou de la politique » et de lutter « contre la tentation d’un retour à l’ordre moral » tout en tentant de préserver « un principe légitime de protection des enfants ». 

La question reposait alors sur le critère de classification portant sur les « scènes de sexe non simulées » et qui avait pour effet de ranger immédiatement un film contenant les dites scènes dans la liste de ceux pornographiques. L’affaire de La vie d’Adèle en a été l’exemple parfait : les juges se sont montrés incapables de discerner si les scènes de sexe étaient simulées ou non. Ce critère était par conséquent soumis à l’appréciation du ministre. Le film Antichrist, qui s’ouvre sur des ébats filmés au ralenti et qui présente notamment une scène d’excision en gros plan ainsi qu’un certain nombre d’autres scènes à la fois sexuelles et violentes, s’est vu délivrer à trois reprises un visa d’exploitation comportant une simple interdiction au mineur de 16 ans par le ministre, mais cette décision a été censurée par trois fois par les juridictions administratives.

Avis qui divergent

Le critère des scènes de sexe non-simulées, trop imprécis et subjectif, a été abandonné. Désormais un film peut « comporter des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou à la banaliser » si « le parti pris esthétique ou le procédé narratif sur lequel repose l’œuvre ou le document » le justifie. Ainsi ces films ne sont plus classés automatiquement dans la catégorie « pornographique » et ne suivent plus le régime applicable à ceux-là, mais sont seulement interdits au moins de 18 ans.  

Cette réforme n’empêche néanmoins pas le ministère de la Culture et de la communication de ne pas avoir le même avis que les juridictions, en général peu progressistes : certains films, comme le deuxième volet de 50 nuances de Greyauquel le ministère avait attribué un visa d’exploitation tous public, a été interdit aux mineurs de 12 ans. 

Néanmoins les juges ne sont pas tous plus prudes que le ministère : le Conseil d’État, saisi du visa d’exploitation du film Bang Gang (une histoire d’amour moderne) mettant notamment en scène des adolescents nus découvrant leur sexualité à plusieurs, n’a ainsi pas jugé qu’il était nécessaire d’augmenter le seuil de 12 ans imposé par le visa d’exploitation, au motif que, si « dans le film des lycéens s’adonnent sous l’emprise de l’alcool et de la drogue, à des pratiques de sexualité collective, les scènes en cause sont simulées, filmées sans aucun réalisme, de manière lointaine et suggérée et qu’elles s’insèrent de surcroit de manière cohérente dans la trame narrative de l’œuvre

Enfin, les simulations de scènes sexuelles ne sont pas nécessairement les seules qu’on tente de cacher à la vue des plus jeunes. Le film d’animation Sausage Party s’est vu reprocher, toujours par des associations, de « diffuser un message à caractère violent et visant à corrompre les mineurs, en raison de la présence de scène de viol et de l’incitation à des relations sexuelles prohibées par le Code pénal ». Le tribunal de Paris, rejetant les prétentions des requérantes, a cru bon de devoir préciser que bien qu’« une séquence, furtive, mime des relations sexuelles entre une boîte de gruau et une boîte de crackers, elle ne paraît pas, en l’état de l’instruction, figurer un viol à caractère raciste ».

En parallèle de ce travail, vient de paraitre le cinquième opus de la collection Darkness, censure et cinéma, dirigée par Christohe Triollet chez Lettmotif, et tourné cette fois vers Homosexualité, censure & cinéma ?.

Y est examiné « sans doute l'un des sujets les plus controversés au cinéma, l'un des tout derniers tabous à subsister à l'écran : l'homosexualité. Montrée, évoquée ou simplement suggérée, l'homosexualité à l'écran ne laisse jamais indifférent parce qu'elle exacerbe nos contradictions et ce que nous croyons être. En contournant les postulats, en revendiquant le droit à la différence, elle renvoie à l'idée de liberté totale. Elle fragilise nos certitudes et les préceptes de nos sociétés hétérosexuelles. Alors comment, dans ces conditions, parler d'homosexualité au cinéma sans risquer de provoquer ses pourfendeurs ou d'offenser ses défenseurs ? ». Quinze auteurs ont tenté d’apporter des réponses à ces interrogations.

La lecture de ceux deux parutions ne peut que contribuer à nourrir un réflexion qu’un État de droit digne de ce nom ne peut plus occulter.
 

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