15 avril > Histoire France

Les bons livres d’histoire nous renvoient toujours à des préoccupations contemporaines. Celui de Jacques-Olivier Boudon nous rappelle un événement tragique qui s’est déroulé il y a deux siècles, le 2 juillet 1816, un an après le voyage de Napoléon vers Sainte-Hélène. Les deux faits sont étrangement reliés puisque la frégate La Méduse avait été envisagée pour faire passer l’empereur déchu aux Etats-Unis.

Mais c’est une autre débâcle qui intéresse Jacques-Olivier Boudon. Elle concerne tout d’abord un capitaine de frégate incompétent, royaliste, qui n’avait plus navigué depuis vingt-trois ans. En faisant route vers le Sénégal pour reprendre possession de cette colonie française, son bateau s’échoue au large de la Mauritanie. Il y a presque 400 passagers à bord. Les chaloupes ne peuvent en prendre que 250, dont le capitaine. C’est ainsi que 147 malheureux s’entassent sur un radeau construit les jours précédents. Sans nourriture, avec un peu de vin, le frêle esquif dérive pendant treize jours sous un soleil de plomb. Les naufragés s’entre-tuent, les vivants mangent les morts. Lors du sauvetage par le brick L’Argus, il ne reste que quinze survivants. L’image de ce désastre se trouve dans le chef-d’œuvre de Géricault conservé au Louvre.

Le peintre a 28 ans quand il expose en 1919 son immense toile qui fait scandale. Comme d’autres, il a été troublé par cette tragédie qui en dit long sur la société de l’époque. "La révélation de l’événement par la presse provoque un choc dans l’opinion publique et déclenche une véritable crise politique. Elle atteint de plein fouet le régime de la Restauration qui vient à peine de s’installer. Celui-ci vacille sous les critiques de ses détracteurs qui voient dans le naufrage de La Méduse le symbole du naufrage de la monarchie restaurée."

Spécialiste de l’Empire et du XIXe siècle, auteur d’un remarqué Napoléon et la campagne de Russie (1812) chez Armand Colin en 2012, Jacques-Olivier Boudon (université Paris Sorbonne) est allé puiser dans les archives des éléments nouveaux. D’une plume agile, il raconte le naufrage, le procès du capitaine, reprend la chronologie à propos des actes de cannibalisme, examine le travail de Géricault, sa réception et sa postérité, mais surtout il cherche à prendre la mesure de ce qu’ont vécu ces hommes et ces quelques femmes sur ce navire, puis dans les chaloupes et sur ce maudit radeau.

En s’intéressant à la vie des rescapés, en faisant sortir des soldats et des matelots de l’anonymat pour leur rendre leur dignité, il explique la force du mythe sur lequel flotte encore ce radeau de La Méduse. Elle réside dans la violence des naufrages, une violence humaine et une violence symbolique. En lisant cette étude historique qui se dévore comme le roman d’une tragédie, on ne peut s’empêcher de songer à toutes ces embarcations qui sombrent chaque jour en Méditerranée. Comme le naufrage de La Méduse renvoya à celui d’une politique, celui des migrants soulève le poids de nos responsabilités. Laurent Lemire

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