28 février > Roman France > Geneviève Brisac

"Je pars à la recherche de ma mère", annonce Geneviève Brisac dans ce livre comme un écho au bouleversant Une année avec mon père (L’Olivier, 2010, Points, 2011). Comment décrire cette femme hors des clous, exaspérante et si facilement exaspérée, reine à la voix cassée, mère impossible, qui fume des brunes sans filtre, partout, déteste beaucoup de choses (Beauvoir, Sagan, les bébés, les femmes coquettes…), conduit comme "une tortue à roulettes" sa voiture - son totem avec la machine à écrire -, aime les zoos et le cirque, chaparde dans les supermarchés, porte des chaussettes à doigts dans des sabots en bois. Partir sur ses traces, c’est faire, avec un "petit tas" de souvenirs de seconde main, beaucoup de trous et des légendes invérifiables.

Geneviève Brisac compile en courts chapitres, comme un portrait diffracté, ces détails qui disent tant, cailloux épars ramassés dans un passé dont Jacqueline alias Hélène, ou le plus souvent Mélini (déjà aperçue dans d’autres livres), ne voulait pas entendre parler. D’ailleurs, sa fille ne l’évoque qu’au présent, explorant le destin d’une famille peuplée d’apatrides et d’aristocrates ruinés où est née Mélini, fille d’Evangelina, une danseuse grecque connue dans le Tout-Paris des années 1920 sous le nom de Lina de Varenne, et de Bob, un Arménien catholique de Constantinople, héritier déchu et artiste. Mariée jusqu’à la fin à Michel qu’elle baptise Michka, cet "être hybride", après avoir appris la sténo, va écrire des dramatiques pour la radio et la télévision avant de devenir réalisatrice de films.

Difficile d’être la fille de cette mère-là, qui prend tant de place : il faut assumer ses excentricités, ses provocations, son besoin d’être le centre ; l’aimer en dépit du manque d’intérêt qu’elle porte à ses enfants qui l’ennuient. Nourrir un amour où la fierté n’est jamais loin de la honte et la déception toujours en embuscade. Avec la force pudique qu’on lui connaît, Geneviève Brisac met ses mots saillants, sans rancune ni larme, sur ce doux-amer Chagrin d’aimer. V. R.

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