On sait peu de choses de Rywka Lipszyc. Elle est née en Pologne en 1929. A 14 ans, elle commence son Journal sur sa vie dans le ghetto de Lodz. Une femme médecin de l’Armée rouge retrouvera ce document en 1945 dans les ruines du crématorium d’Auschwitz-Birkenau. Comment est-il parvenu là ? Le journal se promène ensuite de grenier en grenier avant d’être redécouvert par la petite-fille du médecin russe, installée en Californie.
Cet ouvrage authentifié par le Mémorial de l’Holocauste de San Francisco a paru l’année dernière aux Etats-Unis. C’est le journal d’une jeune fille très religieuse qui consigne méthodiquement tout ce qui lui arrive dans le ghetto. Elle a perdu ses parents, mais elle n’est pas seule. On est surpris par sa maturité. "La survie dépend certes de la chance, mais aussi de la capacité de chacun à garder espoir." Cet espoir, elle le trouve dans sa foi, et dans ses amies comme Surcia à qui elle écrit souvent. "Le monde est trop étroit pour moi." Elle déplore surtout le manque de temps pour dire tout ce qu’elle ressent. Elle travaille dans l’administration puis dans un atelier de couture. "Ah, comme je suis loin du bonheur…" Elle voudrait tout dire, mais cela est difficile. D’autant que la vie change dans le ghetto. Les arrestations se multiplient. "J’ai froid dans les environs du cœur." La tragédie joue une curieuse mélodie qui ressemble à de la souffrance. Rywka le sait. Elle espère se sortir de ce piège, mais elle le sent se refermer sur elle. Le ghetto se transforme en camp de travail. La vie y est de plus en plus dure. "La faim progresse, une faim horrible et sans espoir." Elle veut pourtant y croire encore, malgré l’étau qui se resserre. "Nous sommes un lambeau !"
Ce journal, fort bien introduit et commenté, se distingue par la force qui s’en dégage. "Je voudrais, oh, comme je voudrais qu’au réveil ça soit déjà une autre époque, que tout aille bien ! Oh, comme j’en ai envie !" Elle veut aider les gens autour d’elle, mais elle ne le peut pas. "Oh, mon âme est remplie à ras bord de quelque chose… d’insaisissable… d’inexprimé… je ne sais pas…"
L’abattement, la tristesse s’emparent de la jeune fille et de son écriture qui s’arrête le 12 avril 1944. Qu’est-il arrivé à Rywka Lipszyc ? On suppose qu’elle est morte dans un hôpital allemand après la "marche de la mort" entre les camps d’Auschwitz et de Bergen-Belsen dont elle a été libérée en avril 1945. Il reste ce témoignage exceptionnel d’une fille du ghetto qui puise sa liberté dans l’écriture. L. L.