16 janvier > Histoire France

Il faut se méfier des amuseurs. Ils savent être profonds avec des sujets sérieux. Ludovic Halévy (1834-1908), brillant esprit de la fête parisienne, complice avec Meilhac des livrets d’Offenbach, s’est fait l’observateur pénétrant de la guerre de 1870, une guerre peu étudiée, effacée derrière l’événement de la Commune.

Halévy a collecté les témoignages les plus divers et en a tiré un feuilleton pour Le Temps, le quotidien d’alors. L’ensemble fut réuni puis publié en 1872 sous le titre L’invasion : souvenirs et récits.

On sait gré à Jean-Claude Yon d’avoir exhumé ce texte alerte et poignant. Sa présentation et ses notes nous le rendent plus proche à un moment où nous célébrons le centenaire de la Grande Guerre. Celle-ci fut bien moins longue, bien moins meurtrière aussi, mais on peut y voir comme une blessure originelle qui n’allait pas se refermer avant 1945.

Halévy nous présente son livre comme un collectif, un recueil de témoignages, mais c’est bien le sien. C’est lui, l’expert du théâtre, qui met en scène la cruauté, le quotidien des soldats perdus. C’est lui l’organisateur qui montre la misère, le dépit, l’angoisse d’un peuple qui subit cette invasion.

Il y a dans ces pages retrouvées comme un goût de cendre, une défaite un peu trop vite annoncée, une débâcle jamais digérée. Sedan : le nom ne fait plus écho. Mais il a longtemps résonné dans les craintes françaises. Pour le comprendre, il faut lire les récits stupéfiants d’un chasseur à pied et d’un chirurgien.

Et pourtant, dans ce livre, si Halévy montre la douleur, il veut aussi divertir. D’où ce sens de la scène drolatique pour faire passer une situation tragique, comme ces soldats qui demandent à des officiers ce qu’ils doivent faire : « Des ordres un jour de bataille, vous êtes fous ? » Mais ce qui impressionne, c’est la force du style, avec des scènes d’une grande intensité : la troupe qui avance, sans nourriture, livrée à elle-même, ces troufions déroutés qui ne peuvent compter que sur leur fusil lorsqu’il contient des balles, la mort qui survient souvent dans l’épuisement général, les voitures chargées de cadavres, les coloniaux qui viennent se faire trouer la peau, les chevaux qui se décomposent au bord des routes, un empereur qui passe avec son escorte et un jeune amputé qui espère trouver une jambe de bois.

Il y a comme un sentiment de répétition générale dans cette guerre où l’on se traîne plus qu’on ne marche. On y voit comme en 1940 les Prussiens défiler en fanfare dans un Paris désertique. Ludovic Halévy prouve qu’on peut écrire le désopilant Orphée aux Enfers en relatant dans ce livre dépouillé et puissant l’enfer de 1870. Ce serait dommage de passer à côté. L. L.

Les dernières
actualités