Croissance

La longue marche de Média-Participations

"Nous atteignons ensemble la dimension d’un groupe généraliste qui touche presque tous les secteurs de l’édition." Vincent Montagne - Photo Olivier Dion

La longue marche de Média-Participations

Repreneur de La Martinière, Média-Participations deviendra le 3e groupe d’édition français. Vincent Montagne réalise la plus importante de ses opérations de croissance externe en restant majoritaire au sein de sa holding, où entrera la famille Wertheimer.

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 29.09.2017 à 17h35

"Les actions de La Martinière Groupe seraient apportées à la société holding actuelle de Média-Participations en Belgique, les actionnaires actuels de La Martinière Groupe devenant ainsi le deuxième actionnaire de Média-Participations. Il n’y aurait pas de création de nouvelle société. Opérationnellement, rien ne change", explique Vincent Montagne au lendemain de l’annonce, jeudi 21 septembre, d’une prochaine absorption de La Martinière par le groupe d’édition de bande dessinée, de livres pour la jeunesse, d’ouvrages pratiques et religieux. Le P-DG de Média-Participations emploie le conditionnel, car rien n’est formellement bouclé même si l’issue des négociations ne fait aucun doute. La gouvernance du groupe fusionné est déjà établie : Vincent Montagne sera président, et Hervé de La Martinière vice-président.

"Nous avons pris conscience de l’extraordinaire complémentarité de nos deux entreprises." Hervé de La Martinière- Photo OLIVIER DION

"Une solution pérenne"

"Nous avons commencé à travailler au printemps, et avons pu déterminer le cadre d’un accord possible avant l’été", confient les deux dirigeants réunis rue Ampère, le siège historique de Média-Participations dans le 17e arrondissement de Paris, au soir de cette journée qui a projeté Média-Participations au 3e rang des groupes d’édition français avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 558 millions d’euros. "Je rencontre régulièrement Vincent Montagne. En janvier, je lui ai parlé de mon souhait de trouver une solution pérenne pour l’avenir", raconte Hervé de La Martinière, P-DG d’une entité qui pèse aujourd’hui 206 millions d’euros, "et que tu as démarrée de zéro en 1991", rappelle Vincent Montagne. Cette même année, au décès de son père, lui-même prenait la présidence du groupe familial dont il a presque quadruplé l’activité par rachats, croissance interne et diversification.

La dimension personnelle

La dimension familiale et personnelle très stable des deux sociétés est un élément important de l’accord, le point essentiel étant "l’extraordinaire complémentarité de nos deux entreprises", insiste Hervé de La Martinière. "Nous atteignons ensemble, ajoute Vincent Montagne, la dimension d’un groupe généraliste qui touche presque tous les secteurs de l’édition, sauf le scolaire, et avec une présence significative dans chacun d’entre eux, que ce soit par la taille ou la notoriété des maisons." Parallèlement à ces négociations, le P-DG de Média-Participations a trouvé 17 000 m2 de bureaux dans un immeuble flambant neuf au nord de Paris pour y emménager en avril prochain.

L’immeuble Tempo conçu par Ateliers 2/3/4/, dans le nouveau quartier Rosa-Parks, entre Paris et Aubervilliers. Les salariés du groupe y emménageront en avril 2018.- Photo CLÉMENT GUILLAUME/ARCHITECTE : ATELIERS 2/3/4/

La reprise de La Martinière passera par un échange d’actions, dont la parité n’est pas communiquée. Lors d’une augmentation de capital réalisée en juin 2016, Média-Participations était valorisé à 153,4 millions d’euros. Il s’agit d’une transaction portant sur 1 à 2 % du capital, qui "ne reflète pas du tout la valeur sur le mouvement stratégique opéré aujourd’hui", corrige Vincent Montagne. En décembre 2013, lors d’une opération similaire, La Martinière était valorisé à 52,5 millions d’euros. Aujourd’hui, "le groupe est valorisé beaucoup plus haut, surtout après la vente de Volumen qui a permis d’améliorer très sensiblement les résultats", précise Hervé de La Martinière. La clôture de l’opération dépendra de l’avis de l’Autorité de la concurrence, qui ne devrait pas faire problème, et du délai des procédures d’information des personnels, qui devraient s’étendre jusqu’en décembre. Chez La Martinière, une première assemblée générale s’est tenue le 27 septembre.

Les filiales


Vincent Montagne restera majoritaire dans le nouvel ensemble. Avec sa famille, associée aux Michelin, il contrôle aujourd’hui 75 % de la holding belge qui détient 80 % de Média-Participations Paris. L’ensemble a réalisé l’an dernier 352,4 millions d’euros de chiffre d’affaires (+ 3,5 %), et un résultat net consolidé de 14,5 millions d’euros (+ 46 %). Hors groupe, Vincent Montagne développe aussi Aleteia ("vérité", en grec), un site de presse d’information catholique actuellement très déficitaire.

"Tout le monde a pris des décisions à ma place"

Contrôlé à 84 % par diverses entités du fonds Mousse, qui gère les investissements de la famille Wertheimer (propriétaire de Chanel), La Martinière réalise la moitié de son chiffre d’affaires avec sa filiale américaine Abrams, indique Hervé de La Martinière. Le résultat n’est pas communiqué. La cession en 2015 de la diffusion-distribution Volumen à Interforum, filiale d’Editis, a supprimé un important foyer de pertes, mais elle a aussi mis fin aux conditions privilégiées faites aux maisons du groupe, et particulièrement au Seuil, qui a perdu deux points de marge.

Alors que la vente de Volumen semblait être la première étape d’une cession totale à Editis, Hervé de La Martinière se montre ravi d’avoir encore déjoué la rumeur. "Tout le monde a pris des décisions à ma place, ce n’était pas d’actualité", s’amuse-t-il, tout en soulignant que le contrat de distribution-diffusion avec Interforum n’est pas remis en cause : "Nous en sommes très satisfaits, et il ira à son terme", insiste-t-il, sans en préciser la date.

Dans cette opération, les frères Wertheimer confirment leur indéfectible soutien à Hervé de La Martinière, qu’ils accompagnent depuis le rachat d’Abrams, en 1997. Ils lui ont renouvelé leur confiance lors de la reprise du Seuil en 2004, et ne l’ont pas lâché lorsqu’il a fallu combler les déficits de la diffusion-distribution, avançant en compte courant plusieurs dizaines de millions d’euros, ensuite convertis en capital. En acceptant l’échange de leurs actions contre celles de Média-Participations, les Wertheimer facilitent l’opération et s’installent dans une société rentable.

Résistant et bénéficiaire

"Le groupe est résistant, et bénéficiaire depuis 1999", rappelle Vincent Montagne. L’année précédente, Dargaud, un des piliers du pôle BD avec Le Lombard (Dupuis a été repris en 2004), avait été déséquilibré par la perte d’Astérix. La diversité des branches, dans l’édition religieuse autour de Mame, qui représentait alors encore une part importante de l’activité, la jeunesse avec Fleurus, et la presse (Rustica, Magnificat, Famille chrétienne, etc.) a prouvé son efficacité pour absorber les chocs.

Poursuivant la stratégie à l’œuvre dès la création du groupe, Vincent Montagne a multiplié les reprises, ou les tentatives. En 1995, il s’était intéressé au groupe Hatier, finalement emporté par Hachette Livre et Lagardère, qu’il trouvera encore sur son chemin en 2002 lors de l’offre de reprise de Vivendi Universal Publishing (en association avec Lefebvre, La Martinière et le Seuil). Deux ans plus tard, à nouveau en piste pour la reprise d’une partie d’Editis (ex-Vup), notamment de sa branche scolaire, il sera doublé par Wendel. Mais dans la foulée, Média-Participations bouclera sa plus importante opération jusqu’à aujourd’hui : le rachat de Dupuis, éditeur de Spirou, Largo Winch, Les Tuniques bleues, Gaston Lagaffe, etc., et pointant alors à la 15e place des éditeurs français, avec 70 millions d’euros de chiffre d’affaires.

L’année précédente, il avait pris le contrôle de Mango et des sociétés de production Ellipsanime et Storimages, renforçant une diversification dans le dessin animé amorcée au milieu des années 1990, mais longue à rentabiliser. Les acquisitions d’Anuman (2009) puis de Gravity Europe (2011) marquent l’entrée dans le jeu vidéo, "un secteur bien plus difficile que l’édition, bénéficiaire seulement depuis l’an dernier". Le groupe est aussi actionnaire depuis 2015 de la société québécoise Frima Studio, et a repris cette année 29 % du capital d’Ankama. 2009 est aussi l’année de l’entrée dans le groupe La Procure. Nombre des sociétés rachetées sont déficitaires : elles sont moins chères, mais il faut savoir les redresser, ce qui semble être devenu une spécialité de Média-Participations.

Le groupe s’est aussi développé par croissance interne : lancement de Kana en 1996 (puis Kana Home vidéo), de la plateforme de distribution numérique Izneo avec un consortium d’éditeurs de BD (2010), création d’Huginn & Muninn (2010), lancement d’Urban Comics (2012, 12 millions d’euros de CA aujourd’hui, précise Vincent Montagne), suivi d’Urban China (2014, avec l’éditeur chinois Comicfans), et extension régulière de MDS, le centre de distribution de Dourdan.

Dans le livre, les reprises ont été plus rares et diversifiées, avec les Editions nationales du permis de conduire (ENPC, 2012), et Vagnon (guides nautiques, 2013). En revanche, Vincent Montagne est resté à distance de la vente de Flammarion, en 2012. Mais il a étudié le dossier Belin en 2015.

L’entrée en littérature

La nouveauté pour le groupe, c’est l’entrée en littérature, en juin dernier avec la prise de contrôle majoritaire des éditions Anne Carrière, complétée d’une augmentation de capital de 1,3 million d’euros. La maison passera en diffusion-distribution chez MDS en janvier, avec toutes ses marques : Plein Jour, Le Nouvel Attila, La Belle Colère, Aux Forges de Vulcain, et les éditions Emmanuelle Collas (ex-Galaade), tout juste créées.

L’absorption de La Martinière apportera une tout autre dimension à cette entrée en littérature, avec le Seuil, dont Vincent Montagne salue le redressement, et qui a encore été couronné d’un prix Goncourt en 2014. "Mais l’ouverture sur la langue anglaise et le marché anglophone avec Abrams est aussi un apport très structurant. Peu de groupes français sont ainsi présents aux Etats-Unis", insiste le P-DG de Média-Participations, qui réalise un quart de ses ventes à l’international, où la part de la Belgique est devenue minoritaire.

Abrams, la perle américaine

 

L’éditeur de beaux livres et de littérature pour la jeunesse portera les ambitions de Média-Participations sur les marchés anglophones.

 

La reprise d’Abrams en 1997 restera l’opération la plus audacieuse et la plus avisée d’Hervé de La Martinière. Sa maison, qui a publié ses premiers livres en 1992, réalise alors 170 millions de francs de chiffre d’affaires (26 millions d’euros), alors que l’éditeur américain de beaux livres, premier du genre, fondé en 1949, affiche 45 millions de dollars de recettes (40 millions d’euros au cours d’alors). La recherche de partenaires pour financer cet ambitieux rachat le mettra en contact avec les frères Wertheimer, richissimes propriétaires de Chanel, qui le soutiennent sans relâche depuis lors. Abrams emploie aujourd’hui 150 personnes et est devenue la branche la plus rentable de La Martinière, réalisant la moitié de ses 206 millions d’euros de chiffre d’affaires, et la quasi-totalité de son activité hors du monde francophone.

L’envol de l’activité d’Abrams est venu de sa diversification dans la jeunesse, avec Diary of a wimpy kid (Journal d’un dégonflé dans sa version française au Seuil), la série de Jeff Kinney publiée à partir de 2007. "Elle représente maintenant 20 à 25 % de l’activité d’Abrams, qui depuis a lancé d’autres séries, aussi classées dans les meilleures ventes", se félicite Hervé de La Martinière. Aujourd’hui dirigée par Michael Jacobs, Abrams portera les ambitions de Média-Participations sur les marchés anglophones.

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