En quoi Bouddha est-il philosophe ? Jeroen Hopster, philosophe non bouddhiste, et Han De Wit, psychologue plutôt zen, ont longuement discuté. Cela donne cet essai passionnant et très accessible. On voit que la sagesse bouddhiste et certains systèmes de pensée se retrouvent autour de la méditation, sauf que Bouddha et Descartes ne parlent pas de la même chose. Pour le premier, elle est source de connaissance alors que le second y voit une méthode. On comprend d’emblée ce qui sépare une spiritualité d’une théorie. C’est la différence entre être soi-même le chemin de la sagesse ou savoir emprunter le bon chemin pour la trouver.
L’exemple de la flèche est assez parlant. Il est moins important pour un bouddhiste de savoir par qui et pourquoi elle a été lancée que de l’extraire pour soulager la douleur. "Il faut chercher ce qui provoque la souffrance, non le but ni la raison de la souffrance." Ainsi, nous expliquent les auteurs, à la question de type bac philo "la souffrance sert-elle à quelque chose ?", Bouddha resterait muet comme les grandes douleurs.
De manière générale, les bouddhistes évitent d’émettre des vérités absolues. Comme Abélard ou Guillaume d’Ockham, ils réfutent les universaux, ces abstractions qui n’existent pas en dehors de notre esprit. On peut résumer cela par le fait que le concept de chien n’aboie pas. "Les concepts sont des moyens habiles pour décrire la réalité, mais ils ne constituent pas la réalité pour autant." La question revient à savoir si le monde existe indépendamment de notre pensée et de nos concepts, ou s’il n’existe que dans la mesure où nous avons élaboré des concepts à son sujet ? La réponse bouddhiste est à la fois sceptique et pragmatique. C’est pourquoi on croise sur son cheminement Bergson, Whitehead, Gödel et son théorème d’incomplétude, et Heidegger dont certains vocables comme "l’être-au-monde" restituent pour quelques spécialistes les notions typiquement bouddhistes. En fait, les plus bouddhistes des philosophes furent Schopenhauer et Nietzsche qui considérait comme Bouddha la vie comme une maladie dont nous devons nous guérir.
Dans de courts chapitres très explicites, Jeroen Hopster et Han De Wit montrent la pensée bouddhiste telle qu’elle s’exprime dans les différentes traditions. C’est surtout une manière de retisser les liens entre la pensée occidentale qui s’exerce sur l’empirisme externe et la méditation orientale qui se concentre sur la réalité intérieure. Laurent Lemire
Han de Wit et Jeroen Hopster, Bouddha philosophe : petit traité de sagesse pour la vie d’aujourd’hui, L’iconoclaste. Tirage : 5 000 ex. Prix : 14 euros ; 176 p. ISBN : 979-10-95438-15-1