31 OCTOBRE - ART Grande-Bretagne

Francis Bacon- Photo VINCENT BLACK SHADOW

Aujourd'hui encore, des artistes lui rendent hommage. La star de l'art contemporain britannique, Damien Hirst, avait imaginé lors d'une exposition à la galerie Gagosian de Londres d'installer ses propres sculptures avec tête de vache en putréfaction et nuée de mouches entourées des toiles de "l'un des plus grands peintres du XXe siècle". Francis Bacon, en France, c'était bien sûr celui que l'on pouvait encore apprécier sans se voir jeter l'anathème lorsque l'intelligentsia des années 1960-1970 avait décrété que la peinture était finie. Crucifixion d'êtres écorchés, formes tératologiques aux bouches tordues de douleur, têtes déformées par le pinceau de l'artiste mais étrangement reconnaissables, comme rendus au plus vif de la sensation... L'oeuvre de Bacon a fasciné les écrivains - le philosophe Gilles Deleuze, le poète et critique d'art Michel Leiris... C'est à ce dernier que l'on doit la traduction de ces neuf Entretiens réalisés par David Sylvester entre 1962 et 1986, et dont on se réjouit qu'elle reparaisse dans la collection "Ecrits d'artistes" chez Flammarion. Ces conversations, presque à bâtons rompus, feront les délices des admirateurs de Bacon et sont aussi éclairantes que n'importe quel chapitre de manuel d'histoire de l'art consacré à l'artiste mort en 1992 à l'âge de 82 ans. On y découvre ses marottes comme ses détestations : son goût de la poésie et son sens de la tragédie (qu'y a-t-il selon lui de plus surréaliste qu'Eschyle !), sa vénération de certains maîtres anciens (notamment Vélasquez, dont il réinterprète à l'envi le Portrait du pape Innocent X), son obsession de certaines scènes de films (le cri de la femme dans Le cuirassier Potemkine d'Eisenstein) ou de certaines photographies (les études du mouvement d'Eadweard Muybridge). Bacon rejette "l'illustration" avec vigueur (l'homme qui s'adonnait à la boisson n'était pas moins excessif dans sa vie que ses tableaux), mais il n'a jamais voulu embrasser l'abstraction. Sa voie est bien plus ardue. Et si son art demeure figuratif, il ne s'agit pas de figurer quoi que ce soit de manière naturaliste, censément "d'après nature". Bacon peint ses portraits d'après photo. La photographie crée un nécessaire écart, l'image doit s'effacer afin que, du flou de sa mémoire sensitive, le peintre puisse la reconstituer : "Parce qu'avec une telle image vous marchez en quelque sorte sur la corde raide, entre ce qu'on nomme "peinture figurative" et "abstraction". [...] Il s'agit d'une tentative pour que la figuration atteigne le système nerveux de manière plus violente et plus poignante."

Ce qui importe au fond à Bacon est la restitution de l'image d'une réalité plus profonde et crue où les spécificités d'un individu prennent tout leur relief - pour reprendre l'expression de Leiris, "la vérité criante" des choses et des êtres.

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