Economie

La Pléiade : les secrets d'une « cash machine »

à gauche les projets, à droite les réalisations. - Photo Olivier Dion

La Pléiade : les secrets d'une « cash machine »

Fleuron de Gallimard, la réputée « Bibliothèque de la Pléiade » représente 10% du chiffre d'affaires net de sa maison mère. Enquête dans les coulisses « business » d'un mythe de l'édition française.

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Par Isabel Contreras,
Créé le 05.02.2021 à 10h15

Si vous suivez le compte Instagram des éditions Gallimard, vous avez forcément vu défiler les beaux volumes de la « Bibliothèque de la Pléiade », créée en 1931 par Jacques Schiffrin. Cadeau idéal, ces œuvres complètes imprimées en papier bible et reliées sous couverture pleine peau de mouton (néo-zélandais !) sont souvent mises en avant par la maison d'édition. L'enjeu financier est important quand il s'agit du Panthéon littéraire.

Les près de 650 ouvrages en circulation représentent 10 % du chiffre d'affaires net de Gallimard. « Nous vendons 230 000 à 240 000 exemplaires par an », indique Jean-Charles Grunstein, directeur commercial de la maison. Des chiffres colossaux compte tenu du prix d'un volume à l'unité, 60 euros environ. Avec un coût moyen de fabrication de 15 euros, les marges apparaissent intéressantes. Directeur éditorial de la collection, Hugues Pradier, relativise : « La réalisation d'une Pléiade mobilise une équipe de neuf personnes sans compter les collaborateurs extérieurs, la conception et la mise au point de chaque volume nécessite en général plusieurs années de travail, c'est une grosse machine ». Il cite à titre d'exemple le volume dédié en 2020 à George Eliot. « Les éditeurs et correcteurs ont travaillé sur 4,5 millions de caractères ». Comment programme-t-on une Pléiade ? Étant donné l'investissement, « nous faisons des paris que nous avons de bonnes chances de gagner », note Hugues Pradier.

Timing parfait

L'éditeur s'aligne sur des commémorations ou des anniversaires comme celui de George Orwell, entré le 8 octobre, 70 ans après sa mort. Si son œuvre 1984 était redevenu un phénomène de ventes après l'élection de Donald Trump, l'arrivée de la pandémie en 2020 n'a fait que relancer la popularité de sa fameuse dystopie. La Bibliothèque en a alors directement bénéficié. Bon timing ou marketing opportuniste ? L'éditeur nie avoir tiré parti de l'effervescence de #metoo en programmant en mai 2018 la Pléiade de Simone de Beauvoir. « Nous y travaillions depuis de nombreuses années, l'édition était prête ». Il ajoute qu' « il faut que l'œuvre ait la faculté de résonner avec l'époque ». Alors, une Pléiade dédiée à Michel Houellebecq serait-elle imminente ? « Non, assure Hugues Pradier. Pour entrer dans la collection, il faut que la trajectoire de l'écrivain soit en bonne voie d'achèvement et je ne souhaite pas cela à Michel Houellebecq ».

Directeur éditorial de la collection depuis 1996, il a toutefois observé un changement de comportement des lecteurs. « Nous n'échappons pas au phénomène de best-sellerisation, indique-t-il. Chaque parution provoque un engouement immédiat mais les ventes retombent à plus court terme qu'autrefois ». La meilleure vente du fonds de la Pléiade reste Antoine de Saint-Exupéry, suivi de Proust, Camus, Verlaine et Rimbaud. Du Théâtre espagnol du XVIIe siècle (4 400 exemplaires vendus) aux Misérables de Victor Hugo (plus de 130 000 exemplaires écoulés), la Bibliothèque se veut universelle.

Une image de marque soignée

Pour faire rayonner sa collection fétiche, la maison d'édition soigne l'image de marque et s'appuie sur des opérations commerciales attendues. « Gallimard a su combler la baisse des ventes à l'étranger », observe l'historien Jean-Yves Mollier, spécialiste de l'édition. Les intellectuels originaires des pays de l'Est et de l'Amérique latine étaient de fervents lecteurs de la Pléiade il y a une vingtaine d'années ». Aujourd'hui, selon le directeur commercial, l'export représente 7 % des ventes totales. Gallimard et ses neuf représentants diffusent les précieux volumes et mettent à disposition de la PLV en librairie, essentielle pour valoriser l'image de cette collection, perçue aussi comme un objet de luxe. « Plus la bibliothèque est visible, mieux elle se vend », assure Jean-Charles Grunstein. L'éditeur distribue auprès des libraires des chaînettes pour permettre la consultation des exemplaires et organise des rencontres en librairies. Depuis peu, les professionnels sont invités chez l'imprimeur de la Pléiade et rencontrent les services en charge de la collection. Le service marketing de Gallimard anime aussi le Cercle de la Pléiade, créé en 1999, qui ne réunit pas moins de 10 000 personnes. L'éditeur les prévient des tirages spéciaux et nouveaux coffrets mais aussi de la parution, hors commerce, des albums (offerts pour l'achat de trois volumes) et des agendas (offerts pour l'achat de deux volumes). À tirage unique, les albums sont tirés à 30 000 exemplaires tandis que 40 000 agendas sont proposés dès le mois d'octobre. Sur des plateformes de revente, ces agendas sont aussi proposés à 40 euros... Pourtant, les bibliophiles ne sont plus les premiers acheteurs de cette bibliothèque universelle qui a une longue vie devant elle, tellement elle fascine encore. « Plusieurs personnes achètent la bibliothèque complète chaque année », assure le directeur commercial. Un beau cadeau à 15 000 euros. Hautement instagrammable

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