Trois librairies centenaires 1/3

La Procure : la religion, mais pas que

La Procure au milieu des années 1930. Gravure extraite du catalogue de vente par correspondance de la librairie parisienne, qui a 100 ans cette année. - Photo DR/LA PROCURE

La Procure : la religion, mais pas que

Référence de la librairie religieuse en France, La Procure s'est largement ouverte et même réinventée depuis sa fondation en 1919 à l'ombre de l'église Saint-Sulpice, à Paris. Premier épisode d'une série sur trois librairies qui fêtent leurs 100 ans cette année. _ par Clarisse Normand

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Par Clarisse Normand,
Créé le 21.03.2019 à 22h15

Avant 1975, La Procure s'appelait La Procure générale du clergé. L'évolution de l'enseigne de la grande librairie du 1, rue de Mézières, à Paris (6e), témoigne de ses mutations, mais aussi du maintien de son enracinement chrétien et catholique, le terme « procure » désignant l'office du procureur chargé, dans une congrégation ou une communauté religieuse, des intérêts de l'ordre. « La Procure reste une librairie chrétienne permettant à chacun un approfondissement de sa foi, mais elle a depuis longtemps perdu sa logique prosélyte au profit d'une logique visant à faire dialoguer foi et culture », observe Jean-Baptiste Passé, son directeur général depuis 2016.

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Pour Jean-François Rod, président de 1991 à 2011 et aujourd'hui administrateur, « la grande force de La Procure réside dans l'équilibre trouvé entre sa dimension religieuse originelle et son ouverture commerciale ». En phase avec l'époque, cette évolution a permis de faire émerger une entreprise comptant aujourd'hui 9 librairies et affichant en 2018 un chiffre d'affaires de 13,8 millions d'euros dont 8,5 millions réalisés dans le magasin historique proche de la place Saint-Sulpice, où tout a commencé il y a 100 ans.

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Vers les sciences humaines

La Procure générale du clergé, au service des missions et des œuvres catholiques, s'installe sur son site actuel en 1919. Son fondateur, l'abbé Henri Delépine, maître de chapelle de la cathédrale d'Arras et éditeur de partitions de musique sacrée, dont les locaux professionnels dans le Pas-de-Calais ont été détruits par un bombardement durant la guerre de 14-18, utilise les indemnités reçues pour venir s'installer dans la capitale, dans un quartier qui concentre les librairies et les boutiques religieuses. A côté de la musique, il propose des vêtements liturgiques, des objets de culte dont des livres, et diversifie d'autant plus ses activités dans le registre sacré qu'il s'agrandit avec le numéro 5 puis le numéro 3 de la rue de Mézières. Des locaux qu'il loue puis rachète dès 1934. Très vite, il se lance aussi dans la vente par correspondance.

« La Procure devait permettre à tout le monde d'accéder au livre, même si cette activité n'a jamais été très rentable », observe aujourd'hui Jean-François Rod. Voyant que son entreprise se porte bien, l'abbé Delépine cède la place à d'autres membres de sa famille dont sa nièce et son mari, André Réant, qui en héritent au début des années 1950. Désireux de pérenniser l'avenir de l'établissement, le couple, sans enfant, décide en 1975 de céder ses parts au groupe des Publications de la Vie catholique, tout en donnant l'immobilier à l'association caritative AERIMC, moyennant un bail négocié pour La Procure jusqu'en 2008. Mais les années 1970-1980, marquées par les transformations de la société et de l'Eglise après le concile Vatican II, se caractérisent aussi pour La Procure par une ouverture de la librairie et par le déploiement des rayons sciences humaines (philosophie, psychologie, psychanalyse, histoire...) ainsi que littérature et jeunesse. « Le virage a été impulsé par le jeune directeur de l'époque, Gérard Landrieu, se souvient Jean-François Rod, arrivé en 1978 comme stagiaire dans la librairie. C'est lui qui a dynamisé et ouvert les propositions de la librairie en s'appuyant sur les fondamentaux du métier que sont l'assortiment et le personnel. »

Forte de son enracinement catholique assumé, avec un fonds pointu et exhaustif, La Procure devient aussi une référence dans d'autres domaines comme l'histoire du Moyen Age, la philosophie... Et aujourd'hui, l'établissement de la rue de Mézières peut se targuer d'avoir le plus gros fonds religieux d'Europe (avec ses rayons catholique et chrétien mais aussi judaïque, islamique et oriental) tout en figurant dans le peloton de tête des libraires françaises, avec un chiffre d'affaires réalisé à parité entre le religieux et le non-religieux. En outre, à partir de 1976, La Procure commence à ouvrir des succursales en rachetant des petites librairies en province, notamment à Rouen, Quimper et Annecy.

Puis, en 1987, elle vend ces dernières à leurs responsables et poursuit son développement en franchise. L'enseigne, qui a été jusqu'à Rome, Genève et Beyrouth, n'est plus aujourd'hui à l'étranger que dans la capitale du Liban mais elle compte en France 24 librairies franchisées en plus des 9 qu'elle détient en propre (à Paris, Versailles, Saint-Quentin, Pontoise, Mantes-la-Jolie et Lyon).

Faire entrer la lumière

Exemplaire, ce parcours n'a pour autant pas été qu'un long fleuve tranquille. La création en 1977 d'un département voyages, La Procure Voyages, se révèle malheureuse et met en danger la librairie avant d'être définitivement fermé en 1991. C'est à cette date que Gérard Landrieu quitte La Procure et cède la place à Jean-François Rod qui devra affronter, à l'orée des années 2000, un autre péril lié aux velléités de l'actionnaire de séculariser La Procure. Mais le nouveau directeur parvient à maintenir l'équilibre trouvé entre le religieux et le profane, alors même que l'enseigne passe aux mains du groupe Le Monde avec le rachat de La Vie en 2004.

Autre écueil surmonté : la multiplication par sept du loyer de la rue de Mézières avec l'arrivée à échéance du bail dans un immeuble qui a été racheté par un groupe financier. Bien qu'assumée, la charge pèse sur les résultats de la librairie.

Non stratégique pour Le Monde, l'enseigne est cédée en 2009 à un pôle d'actionnaires composé de Média-Participations et de Noria Invest, mais aussi, dans une moindre mesure, de Bayard, le Cerf, Eyrolles et le Comité français de radio-télevision (CFRT). Depuis, La Procure qui a confirmé son orientation de librairie à la fois religieuse et généraliste doit affronter la concurrence d'Amazon, particulièrement violente sur les domaines les plus pointus qui font justement sa force. Alors que son chiffre d'affaires tend à s'éroder et que son résultat évolue plus ou moins autour de l'équilibre, « l'enjeu est de faire connaître la richesse de notre offre et de conquérir de nouveaux clients », observe Jean-Baptiste Passé, conscient que La Procure est enfermée dans une image plus étroite que dans la réalité. D'où le programme de rénovation du vaisseau amiral visant à remettre en avant le patrimoine architectural des lieux mais surtout à ouvrir la librairie vers l'extérieur en faisant entrer la lumière à la fois par les vitrines et par la verrière.

Présidente depuis 2015, Céline Guillaume réaffirme également « la place de l'humain dans la proposition de La Procure avec des libraires engagés et capables d'échanger avec les clients sur des sujets intimes comme le deuil». Conjuguée à la richesse de l'offre, cette qualité du service se paie par une masse salariale atteignant 24 % du chiffre d'affaires. Mais elle permet à La Procure d'avoir un panier moyen d'achat élevé, à 40 euros. Librairie de destination, avec quelques clients remarquables venant en voisins tels Catherine Deneuve, Jean-Pierre Léaud ou Patrick Modiano, « La Procure convainc dès lors que l'on en franchit le seuil », assure Jean-François Rod, pour qui cela confirme la nécessité de« faire connaître La Procure pour ce qu'elle est ». Poussant la métaphore, Jean-Baptiste Passé entend « réconcilier Saint-Sulpice et Saint-Germain-des-Prés ».

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