Leur moto est « scouting without borders », autrement dit dénicher, conseiller au-delà des frontières. Fondée en 1987 à New York par Maria B. Campbell, l’agence éponyme accompagne depuis près de 40 ans les éditeurs du monde entier dans le repérage de titres américains à traduire ou adapter à l’écran. Aujourd’hui forte de 22 collaborateurs répartis entre New York et Londres, où un second bureau a ouvert en 2013, l’agence est devenue une référence mondiale du conseil littéraire, en langue anglaise mais pas uniquement.
Sa fondatrice a notamment collaboré avec Warner Bros et Netflix, et l’agence accompagne aujourd’hui des maisons telles que Seuil et Hachette en France, Little et Brown au Royaume-Uni, Fischer en Allemagne, Penguin Random House en Espagne et Mondadori en Italie. Agnes Ahlander Turner, qui a rejoint l’agence en 2007, en est aujourd’hui la présidente. Elle nous dévoile les coulisses d’un métier encore peu connu en France.
Livres Hebdo : En France, les scouts littéraires sont encore peu connus. Pouvez-vous nous expliquer votre métier ?
Agnes Ahlander Turner : Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les scouts jouent un rôle clé dans la transmission d’informations aux éditeurs étrangers. Nos clients n’ont pas toujours accès aux échanges informels avec les agents et éditeurs américains et anglo-saxons, pourtant essentiels pour repérer les bons titres. Nous sommes donc leurs yeux et leurs oreilles sur place, leur assurant une présence de facto et parlant en leur nom. Le rôle du scout est d’anticiper, d’offrir un vrai choix, et d’éviter à l’éditeur de passer à côté d’une opportunité. Ce qui nous motive, c’est de leur faire découvrir le bon livre, au bon moment.
En France, on dit : le client est roi. Est-ce le cas des éditeurs pour qui vous travaillez ?
Absolument. Un scout n’est bon que par la qualité de ses trouvailles. C’est un métier intense : nous trions une masse d’informations pour ne transmettre que ce qui compte. Nous essayons en permanence d’anticiper le marché, là où un agent ou un éditeur y réagit.
« Un succès commercial ne correspond pas toujours à notre client, c’est à nous de le discerner »
Vous collaborez avec certaines maisons d’édition depuis plus de 30 ans. Comment construit-on une telle relation ?
Il faut valoriser le client à tous les niveaux, du P-DG à l’assistant, et entretenir un dialogue constant : ses besoins d’aujourd’hui, ses objectifs de demain. La confiance se construit dans la durée, avec lucidité et sang-froid, même sous pression. Un succès commercial ne correspond pas toujours à notre client, c’est à nous de le discerner.
Si les grandes agences collaborent déjà avec les principaux éditeurs, reste-t-il de la place pour de nouveaux acteurs ?
Oui, absolument. Le marché évolue sans cesse : les éditeurs changent, de nouveaux émergent. Ce mouvement constant crée des opportunités dans le monde entier. Il y a toujours de la place pour ceux qui savent écouter, apprendre, et tisser leur propre réseau.
Une jeune maison d'édition a-t-elle vraiment besoin d’un scout ?
Tout dépend de ses ambitions. Les petits clients ont aussi des besoins spécifiques. Certaines de nos collaborations les plus durables ont commencé avec des structures modestes, devenues depuis des références. Ce sont souvent les débuts qui forgent les relations les plus solides. On travaille avec des gens qu’on respecte, et cette confiance mutuelle laisse une empreinte : elles se rappellent qu’on était là dès le départ, et nous, qu’elles ont parié sur nous. À MBCA, ce sont les relations humaines qui nous portent.
« Le scouting n’est pas un modèle extensible vu que nous ne pouvons travailler qu’avec un seul éditeur par territoire »
Vous avez des clients partout dans le monde. Comment continuez-vous à vous développer ?
Le scouting n’est pas un modèle extensible vu que nous ne pouvons travailler qu’avec un seul éditeur par territoire. Mais certains de nos clients acquièrent des catalogues dans de nouveaux pays, s’étendent à de nouveaux marchés, encore peu touchés par l’export anglophone contrairement aux pays nordiques, par exemple. On développe aussi nos pôles jeunesse et film/TV, qui ouvrent d’autres perspectives avec des besoins différents et des temporalités variées.
L’intelligence artificielle peut-elle également vous aider dans votre travail ?
Il faut l’aborder avec prudence. Le mot écrit est au cœur de notre métier. Cela dit, si l’IA peut nous aider à gagner du temps sur nos tâches internes, je suis ouverte à l’explorer. Mais elle ne doit pas remplacer notre rôle : ce sont nos opinions et nos relations humaines qui comptent. Et ça, seuls de vrais humains peuvent le faire.
« Les foires sont souvent la seule occasion de voir nos clients en personne, une ou deux fois par an »
Quels sont donc les outils et stratégies pour rester à la pointe ? Les foires restent-elles des rendez-vous cruciales ?
Pour comprendre le marché, je lis tout ce qui est disponible et j’échange constamment avec les professionnels du secteur pour comprendre leurs enjeux, leurs enthousiasmes, leurs visions. Les foires sont souvent la seule occasion de voir nos clients en personne, une ou deux fois par an. On discute des enjeux, des points à améliorer, des livres en réflexion. Un salon, c’est aussi représenter l’agence, s’assurer qu’on compte dans le paysage éditorial mondial.
Enfin, quelle compétence avez-vous développée durant votre carrière que vous jugez essentielle pour votre métier ?
Une curiosité sans fin. Être scout, c’est ne jamais se reposer : il faut anticiper le changement et l’accueillir. C’est aussi et surtout une question de relationnel. Comme nous ne créons pas les livres, ce sont les personnes qui les portent qui nous inspirent.