2 janvier > Roman France > David Fauquemberg

Ecrivain rare, exigeant, auteur de quatre livres seulement (celui-ci compris) depuis 2007 et le superbe Nullarbor (Hoëbeke), David Fauquemberg est l’homme des voyages au long cours, du dépaysement total, au sens fort du terme. Et quand il ne pérégrine pas, il traduit des écrivains, de préférence anglo-saxons. Ceci explique cela, son tropisme littéraire évident, ses influences, à chercher du côté de Melville, de Hemingway, ou encore de Bruce Chatwin. On pense aussi à Joshua Slocum, l’un de ses héros.

Finie, pour le moment, l’Amérique du Sud. Plus de tango, mais du tangage. Débarque un beau matin à Bluff Harbour, un coin perdu du sud de la Nouvelle-Zélande, que les Maoris eux-mêmes appellent "la queue du monde", un Français mystérieux, baroudeur buriné et fauché, dont on ignorera toute l’histoire, et jusqu’au nom. A l’Anchorage Café, où tout se passe et se fait, on le nomme simplement "Frenchie". C’est l’hiver austral, saison de la pêche à la langouste, au casier. Un bon bateau peut en ramasser plusieurs tonnes par jour. Et le Toroa est un sacré bon bateau, mené par un sacré équipage : Rongo Walker, le patron, un vieux Maori, ancien rugbyman, veuf et philosophe, qui regrette le temps où son peuple, largement animiste, suivait encore la voie des ancêtres ; et son bras droit, Tamatoa, un colosse tahitien de 130 kilos, un taiseux d’une fidélité adamantine.

Le Frenchie embarque donc, pour une campagne de pêche, "à l’ancienne", dans un climat de confiance, de fraternité virile. Au début, ça se passe bien. Les prises sont abondantes, mais le Toroa va se trouver pris dans une tempête particulièrement effroyable, qui manque l’envoyer par le fond. Le caseyeur ne coulera pas, mais il a perdu de sa puissance, et de son aura. Le capitaine et son matelot également. "Je vends le bateau, Frenchie", décidera-t-il, la mort dans l’âme. Tamatoa rentré chez lui, furieux, le Français de passage repartira sans un mot de plus, vers on ne sait quelle destination ni quelle destinée.

C’est la fin d’un monde traditionnel, illustré par les grandes figures de Maari, le vieux pêcheur mythique, Hone, le poète chaudronnier communiste, ou Papa Mau, qui a initié des générations de jeunes à la mer, de Hawaï à Tahiti, que célèbre l’écrivain hauturier, dans ce beau livre porté par un style inspiré, lyrique. "La culture des Pakehas [les Blancs] n’est qu’un vernis très fin", dit à un moment Rongo Walker. David Fauquemberg le décape parfaitement. J.-C. P.

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