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La robe et la plume

Une aquarelle de Maurice Garçon. Le tribunal de Saint-Etienne, avril 1956. - Photo Coll. privée

La robe et la plume

La parution du journal inédit de Maurice Garçon ainsi qu’une exposition dédiée au célèbre avocat et homme de lettres illustrent un goût du verbe unique.

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Par Sean James Rose,
avec Créé le 01.05.2015 à 04h04

Une plaque commémorative, 10, rue de l’Epéron dans le 6e arrondissement de Paris, rappelle qu’y vécut de 1928 à sa mort en 1967 "Maurice Garçon de l’Académie française, avocat". Avocat, certes, et quel avocat ! Cette figure du barreau de Paris domina de sa haute silhouette et par une éloquence sans pareille le prétoire dans des affaires retentissantes, tant civiles que criminelles. Mais à la profession juridique, il aurait fallu ajouter essayiste, romancier, parolier, aquarelliste. Maurice Garçon est homme de conviction : son plaidoyer contre la peine de mort vaut l’acquittement de Georges Arnaud, accusé d’un triple assassinat et de parricide ; celui contre la censure en défense de Jean-Jacques Pauvert qui voulait publier Sade illustre son viscéral attachement à la liberté d’expression. C’était l’avocat des écrivains (Aragon, Breton, Cocteau), des éditeurs (Gallimard, Grasset, Albin Michel) et de nombre de célébrités de la peinture ou du cinéma (Raoul Dufy, Charlie Chaplin, Brigitte Bardot).

Parfait notable de la IIIe République, Maurice Garçon n’en demeure pas moins clairvoyant, c’est un libre esprit au sein de l’establishment. Ainsi l’illustre le Journal, qu’il tient sur près d’un demi-siècle, et dont ce volume, correspondant aux années de l’Occupation, paraît en coédition aux Belles Lettres et chez Fayard. Ce document est tombé par hasard entre les mains des éditeurs : c’est en cherchant des renseignements au sujet d’un autre écrivain auprès de la fille de Maurice Garçon que cette dernière leur confie les Mémoires de son père, jusque-là tenus secrets. S’il est empreint de certains préjugés de l’époque, l’avocat trouve odieux la spoliation de ses compatriotes israélites et juge avec une sévérité lucide le régime de Vichy.

Portraits à la Saint-Simon, comme celui de Coco Chanel ("une bouche large avec des lèvres d’une mobilité extraordinaire"), qui se fie un peu trop aux paroles de l’occupant allemand, tableaux d’un Paris à l’atmosphère délétère mais où l’on continue de dîner en ville, commentaires politiques (son mépris de Laval, mais un enthousiasme très relatif à l’endroit du général de Gaulle dont il suppute un autoritarisme de caserne) : voici un témoignage exceptionnel et rédigé à coups de griffes acérées. A l’occasion de la sortie de cet inédit, une exposition, "Maurice Garçon : l’éloquence et la plume", sous la houlette d’un autre avocat écrivain, Emmanuel Pierrat (collaborateur de Livres Hebdo), au musée du Barreau de Paris (1), montrera manuscrits, notes et aquarelles de l’avocat polygraphe.

Sean J. Rose

(1) "Maurice Garçon : l’éloquence et la plume",musée du Barreau de Paris, 25, rue du Jour, 75001 Paris. Du 12 mai, au 31 juillet 2015.

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