Etre conscient de son ignorance. C'était pour Nicolas de Cues (1401-1464) le sommet de la connaissance. Il nomma cela la "docte ignorance" dans un ouvrage capital toujours commenté. Bien avant que la technologie ne modifie la vision de notre monde, le cardinal, diplomate, théologien et philosophe allemand estimait qu'il y avait une limite au savoir humain et que cette limite devenait de plus en plus visible à mesure que les connaissances avançaient. En résumé, plus on pensait savoir, moins on savait...
Deux livres nous proposent de déambuler dans les réflexions de ce personnage fascinant. Le premier paraît dans la nouvelle collection "L'ymagier", dirigée par Yves Hersant, aux Belles Lettres. Le tableau ou la vision de Dieu pose la question du regard. Quel est le rapport entre voir et être vu ? Sur cette interrogation très moderne, Nicolas de Cues apporte des réponses originales où, bien entendu, Dieu est invoqué à chaque page. Au XVe siècle, la philosophie se confond encore avec la théologie.
Néanmoins, on trouve des remarques passionnantes sur le regard qui vont bien au-delà de la foi. Ainsi ce regard qui change avec l'âge, le temps, le caractère. Soi-même, on se voit différemment selon les époques.
On éprouve le même sentiment à la lecture des trois dialogues La sagesse, l'esprit, les expériences de statique selon l'Idiot, proposée dans une version bilingue latin-français. L'idiot, c'est le pauvre qui trouve dans le dénuement financier et culturel une sorte de sagesse. Cet idiot dialogue avec l'orateur ou le philosophe que l'on identifie à Nicolas de Cues. Mais tout cela est stratagème. L'orateur comme l'idiot ne forment qu'un seul personnage dont les deux facettes s'affrontent. A moins que l'idiot ne soit le lecteur... invité lui aussi à la sagesse. Puisqu'il n'y a pas de savoir absolu, contentons-nous du relatif.
Dans cette Première Renaissance, au seuil de ce qui allait être qualifié d'humanisme, Nicolas de Cues veut comprendre comment nos sens, notre imagination et notre raisonnement nous permettent d'appréhender le monde. Pour lui, de toute manière, la vérité est inaccessible. Il faut donc inventer un nouveau monde. Puisqu'il n'y a pas de savoir absolu, il va falloir s'installer dans le relatif en lui donnant des petits airs d'absolu, histoire de ne pas trop paniquer. "Ceux qui pensent que la sagesse n'est autre que ce qui est compréhensible par l'intellect et que le bonheur n'est autre que celui qu'il leur est possible d'atteindre, ceux-là sont loin de la vraie sagesse éternelle et infinie."
Dans ce jeu paradoxal où l'idiot montre sa sagesse, on découvre une pensée toujours envoûtante que ces deux belles éditions nous proposent de savourer.
 

 
                   
                                               
                                               
                                               
       
       
       
       
       
       
         
        