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Délicate et intense. Chez Leonor Baldaque, la gracilité de la silhouette contraste avec la force déterminée qui émane de son regard châtaigne. Avant ce premier roman, devenue l'une des actrices fétiches de Manoel de Oliveira, elle a tourné un film par an pendant dix ans et avait 19 ans en 1998 quand elle a joué pour la première fois devant la caméra du maître portugais, dans Inquiétude. Elle s'apprêtait à ce moment-là à abandonner l'idée de devenir violoncelliste. N'avait pas encore quitté Porto, où elle a grandi, pour Paris où elle a vécu dix ans. Plus tard, en 2002, dans Le principe de l'incertitude, la grand-mère de la comédienne, la grande romancière Agustina Bessa-Luis, écrira à la demande de son ami cinéaste un rôle taillé sur mesure pour sa petite-fille.

Dans le dernier film qu'elle a tourné en 2009, La religieuse portugaise d'Eugène Green, sa présence légère et dense flottait dans les rues d'une Lisbonne magnifiée. Pour ce rôle, elle a obtenu dans son pays natal le prix de la Meilleure actrice. Mais ce fut sa dernière apparition sur les écrans. Car un mois avant le tournage, elle avait entamé la rédaction de ce qui, deux ans plus tard, est devenu Vita (La vie légère), étrange et beau roman qui semble venir du fond du temps.

Alors que Leonor Baldaque écrivait depuis toujours, en portugais, des romans et des poèmes qui avaient tous jusque-là fini à la poubelle, le français s'est imposé ici comme langue d'écriture, "la langue de la liberté" selon elle. Un français appris à l'école dès ses 3 ans, étudié pendant ses études supérieures littéraires, entendu aussi durant le mois d'été qu'elle passait chaque année au Pays basque, durant toute son enfance, en vacances chez sa célèbre grand-mère. De cette aïeule imposante, femme de lettres et de pouvoir, la petite-fille admire la force hors du commun, l'humour mordant, la "vitalité un peu anormale" qu'elle a pu observer chez d'autres artistes de cette espèce, et apprécie le privilège d'avoir pu fréquenter son extraordinaire bibliothèque.

De Porto à Rome

Mais Leonor Baldaque ne veut pas être réduite à une position d'héritière, elle qui depuis longtemps trace avec ferveur sa propre route, loin des terres familières. Pour le recueillement qu'elle y a trouvé, elle a ainsi choisi d'habiter Rome depuis une paire d'années. C'est là qu'a pu naître un roman qui célèbre un esprit des lieux, envoûtant et mythologique. Ecrit comme on "lancerait un ballon à ras de terre devant soi". Observant un monde dont elle n'est pas allée explorer, dit-elle, la profondeur mais bien plutôt la surface, comme les riches détails d'une tapisserie.

Il n'y a pas vraiment d'histoire dans Vita mais trois personnages, trois jeunes gens, une fille et deux garçons qui "vont très bien ensemble", Vita, Millicent et Paul, et un chien. Ils n'ont entre eux aucun rapport de pouvoir, vivent en symbiose avec la nature. "Rien que des cousins : le sang proche, les ressemblances physiques, un temps commun dans les mêmes bois. Voilà leur enfance, ici même, avant la débandade en direction du monde." Autour d'une vieille demeure pleine de couloirs, ils traversent jour et nuit un lieu rêvé près d'un fleuve et de la mer, qui n'existe que dans le livre.

Pas de retour en arrière

Leonor Baldaque raconte qu'elle retravaille beaucoup ses textes. Pour autant, elle ne veut pas faire des romans "abscons", cherche au contraire la simplicité, la fluidité. Comme pour la musique, mais aussi la peinture - sa mère est peintre -, elle croit en la nécessité de s'exercer et a copié intensément les grands auteurs. Elle s'avance en littérature avec ses "amis", Montaigne et Descartes, mais pour ce livre, elle s'est promenée du côté de la culture anglaise dont elle est aussi nourrie, accompagnée de trois poètes : Wordsworth, Eliot et Milton. Et des textes anciens, grecs et latins, Ovide en particulier, qui fut "une grande compagnie" pour ce récit placé sous le signe de la métamorphose.

Pour le deuxième roman qu'elle a commencé à écrire, Leonor Baldaque regarde du côté des philosophes, des oeuvres "qui tirent vers le haut", qu'elle peut lire et relire comme elle passait autrefois des après-midi entiers sur quatre notes au violoncelle. A Rome, elle fréquente beaucoup les musées, s'imprègne. Obsédée par l'idée de le perdre, elle veut prendre le temps.

Après la sortie de La religieuse portugaise, la comédienne a reçu plusieurs propositions de films qu'elle a toutes déclinées, ressentant alors un "appel vital" de l'écriture. "J'adore les tournages, je m'y amuse beaucoup, mais rien n'est comparable au fait de trouver ses propres mots. Je ne sais pas comment revenir en arrière."

Vita (La vie légère), de Leonor Baldaque, Gallimard, ISBN : 978-2-07-013556-1, 12 euros, sortie le 19 janvier.

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