18 mai > Essai France > Nicole Le Douarin

Chez Nicole Le Douarin, la passion ne s’oppose pas à la raison. Ses origines bretonnes sans doute… Secrétaire perpétuelle honoraire de l’Académie des sciences, titulaire pendant douze ans de la chaire d’embryologie cellulaire au Collège de France, médaille d’or du CNRS en 1986, docteur honoris causa dans les plus grandes universités étrangères, son parcours académique aurait pu la conduire vers le Nobel pour lequel son nom fut souvent cité.

Ses recherches qui ont permis des avancées spectaculaires dans la connaissance des systèmes nerveux et des "cellules souches", Nicole Le Douarin a toujours eu le souci de les transmettre et de les faire comprendre. Cette tonique octogénaire était revenue en 2012 sur son parcours exceptionnel en publiant Dans le secret des êtres vivants (Robert Laffont).

Cette fois, elle livre son savoir par ordre alphabétique dans un dictionnaire aussi amoureux que rigoureux. Elle le fait sous la forme d’articles, souvent longs, qui ont le statut de petits essais pour faire le tour de la question. D’ADN à Etienne Wolff, le grand chercheur en embryologie qui fut son "patron", Nicole Le Douarin aborde un vaste territoire qu’elle circonscrit par des repères importants : biologie du développement, cellules souches, crête neurale, mort, régénération, etc.

Tout y est expliqué, patiemment, même si tout n’est pas simple. Car si l’unité du vivant est indiscutable, sa diversité est patente. Tout comme sa complexité. C’est le cas de l’apoptose qui caractérise le "suicide cellulaire" dû à l’activation d’un programme génétique de mort pour laisser la place à la régénération d’autres cellules. "Nous perdons chaque année une masse de cellules mortes équivalente au poids de notre corps."

Dans ce dictionnaire, l’amour de la vie est à prendre à double sens : la vie biologique et la vie quotidienne. Les deux sont intimement liées, surtout quand on aborde des notions comme l’immortalité, envisageable au niveau cellulaire mais problématique à l’échelle humaine. "Le poids du passé deviendrait si lourd qu’il risquerait d’entraver la marche en avant, si créative, de l’humanité." On bascule alors de la biologie à Borges.

Les questions philosophiques ne sont jamais loin quand on considère combien la vision de la vie est transformée par ces découvertes qui modifient l’économie mondiale, l’équilibre des sociétés et notre rapport à l’existence. A ce moment crucial où les sciences de la vie donnent à l’homme le pouvoir d’agir librement sur les ressorts intimes du vivant, Nicole Le Douarin désigne l’urgence qu’il y a à accorder l’éthique et la science, au risque de voir la biologie s’aventurer vers des contrées dangereuses.

Avec ce même souci de vulgarisation, elle rend aussi hommage aux hommes et aux femmes qui, de Georges Cuvier à Rita Levi-Montalcini, en passant par François Jacob ou Rosalind Franklin, oubliée du Nobel aux côtés de Crick, Watson et Wilkins dans la découverte de la structure de l’ADN, ont augmenté notre connaissance de la vie. Indubitablement, Nicole Le Douarin en fait partie. L. L.

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