Tout cela m'est tombé dessus en 1976, raconte Guillaume de Monfreid. J'avais 26 ans, j'étais architecte, et j'étais un jeune con ! Je n'avais fréquenté mon grand-père que durant dix ans. Et puis, tout à coup, je devenais son héritier direct, et la famille me désignait comme son agent littéraire. Depuis, je fais bouillir la marmite !" Sans complexe et avec un grand professionnalisme, il déploie une activité tous azimuts au service de l'oeuvre de celui qu'il appelle "Henry" lorsqu'il s'agit de son "client".

Tandis que le petit-fils, lui, à qui le Maître, qui ne passait pas pour quelqu'un de commode, consentit à s'intéresser, l'appelle "grand-père" : "Une vraie complicité nous liait, on faisait de la moto ensemble ! Etant donné la différence d'âge, je ne risquais pas de lui faire de l'ombre : dans la famille, il n'y avait de place que pour une star : lui ! Pour mon père Daniel, qui était aussi architecte, le rapport a été plus difficile, voire écrasant. En revanche, mon grand-père ne m'a jamais raconté une seule histoire. Il disait : "Tu n'as qu'à lire mes livres." Et il en a publié 74 !"

Revenons sur l'histoire, rocambolesque, de cette famille qui ne l'est pas moins. "Une famille d'artistes, précise Guillaume, pas de notaires, de médecins, de militaires..." Mais qui naît d'une sublime supercherie. Dans les années 1850, une jeune femme tombe enceinte de son amant. Afin d'éviter le scandale, elle s'invente un nom, Caroline de Monfreid, veuve d'un Charles, capitaine au long cours disparu en mer, et trouve, pour assumer tout ça, un père de substitution complaisant et richissime : le diamantaire Read, l'associé de Tiffany. C'est ainsi que naît à New York, en 1856, Georges-Daniel de Monfreid, le père d'Henry, lequel sera peintre-graveur. Et rentier ! Quant à l'amant de Caroline, il se murmure que ce pourrait être Léopold II, roi des Belges, célèbre pour ses frasques et ses nombreux bâtards. Dont un certain Georges Rémi, alias Hergé. L'écrivain-bourlingueur et le père de Tintin seraient apparentés ! "Henry n'y croyait pas, reprend Guillaume, il considérait ça comme une légende. Mais, depuis, nous avons trouvé un faisceau de présomptions qui tendent à l'accréditer. Son gène de l'aventure, du mystère et des grands espaces pourrait venir de là."

Henry de Monfreid est mort chez lui, dans sa maison d'Ingrandes, en 1974, à 95 ans. C'est Daniel, le seul garçon légitime parmi ses cinq enfants - qu'il avait eu avec une femme non moins aventurière que lui, Armgart Freudenfeld, "une Prussienne, fille du gouverneur de l'Alsace-Lorraine, alors allemande, qu'il a épousée en 1913, et qui a passé sa vie à l'attendre à Djibouti !" -, qui devait régler la succession et devenir le chef de famille. Or, en 1976, celui-ci se tue dans un accident de voiture. Le "job" échoit donc à Guillaume, que l'indivision désigne comme agent littéraire d'Henry. A charge pour lui de commencer par trier ses archives ("un bazar indescriptible !"), dresser un état des lieux de ses livres publiés et trouver d'éventuels inédits. Textes, journaux de bord, mais aussi dessins et photographies, car Monfreid avait tous les talents - hormis celui d'homme d'affaires, qu'il s'obstina pourtant à pratiquer - et utilisait tous les médiums à sa portée.

Le gène de l'aventure

Guillaume, tout en poursuivant son métier d'architecte, "mais en artisan, pas en entrepreneur", a refait scrupuleusement tous les voyages d'Henry. Le gène de l'aventure, apparemment, il en a aussi hérité ! Il gère les droits de son "client". Veille à ce que toute son oeuvre, romans et récits de voyage, soit disponible et régulièrement rééditée chez son éditeur de toujours, Grasset. Mais il invente aussi des projets : ainsi, il a publié En mer Rouge (Gallimard, 2005), un album de photographies inédites prises par Monfreid, ou un fort volume de ses Lettres d'Abyssinie, de la mer Rouge et d'Egypte, réunies sous le titre Aventures extraordinaires (Arthaud, 2007). Aujourd'hui, tout en organisant l'édition, chez Grasset, de "L'envers de l'aventure", une série de dix romans tardifs et familiaux de Monfreid (dont un consacré à sa grand-mère, la fameuse Caroline), il publie un album "à quatre mains", Hymne à la mer, qui rassemble poèmes illustrés, journal de bord, aquarelles et photos colorisées à la main, le tout inédit. Et il ne compte pas s'arrêter là. "En publiant ces livres, conclut Guillaume, j'envoie des messages subliminaux : ce sont autant de matériaux pour la grande biographie d'Henry que nous attendons toujours, exhaustive et objective, qui prenne en compte l'aspect fondamental de sa vie : la liberté." Avis aux auteurs potentiels.

Hymne à la mer, Henry de Monfreid, Arthaud, 144 p., 25 euros, ISBN : 978-2-08-128058-8. Sortie le 26 septembre.

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