6 mai > Récit France

Il n’y a rien de plus ennuyeux qu’un album de famille, surtout quand ce n’est pas la sienne. Ou alors il faut beaucoup de talent à celui qui tourne les pages pour vous intéresser à des gens dont vous n’avez jamais entendu parler, comme cet Alexandre Merlot (1862-1945). Gilles Perrault possède cet art. L’auteur de L’orchestre rouge (Fayard, 1967), du Pull-over rouge (Ramsay, 1978) ou du Dictionnaire amoureux de la Résistance (Plon, 2014) sait capter l’attention par sa franchise, sa générosité et, surtout, parce que en parlant des siens il nous parle de lui.

On saisit mieux à la lecture de ce Grand-père ce que ce trublion de Gilles Perrault doit à la famille Merlot et à son aïeul. Professeur merveilleux, adoré de ses élèves parmi lesquels Fernand Braudel, détesté par les proviseurs acariâtres et conservateurs, cet agrégé n’avait pas la langue dans sa poche, pas plus que son épée qu’il convoquait quelquefois pour un règlement sur le pré.

On sent bien qu’il l’aime, ce franc-maçon libertaire et dreyfusard qui vénère Victor Hugo et s’accroche avec les cuistres de tous bords. "Il haïssait la guerre, mais ne supportait pas que la France en perdît une seule." Gilles Perrault n’est pas peu fier d’avoir eu un tel énergumène dans son arbre généalogique. Son seul défaut à ses yeux est d’avoir accepté la Légion d’honneur. "Personne n’est parfait."

Dans ce récit qui relève de l’enquête historique tout autant que de l’autobiographie, Gilles Perrault évoque aussi son père qui fut avocat comme lui, et ne cache pas son admiration pour deux aïeux qui furent condamnés au bagne pour un vol de pommes de terre en 1816, un an après Waterloo. Il nous invite aussi à cheminer dans ce Cotentin familier et familial, à la rencontre de ses amis et de ses souvenirs.

Il nous raconte ce que furent ces familles du XIXe siècle, ouvrières puis intellectuelles, élevées dans le culte de la République, serties dans les valeurs de gauche. "J’ai pourtant maintes fois regretté que mon grand-père n’ait pas poursuivi sa course une douzaine d’années : il aurait eu le bonheur de se découvrir un petit-fils à sa ressemblance, intrépide dans la tourmente, indomptable face à l’adversité et, pour le résumer d’un mot : héroïque."

On sent surtout dans cet essai une appétence pour les gens, pour la vie, pour leurs histoires, leurs failles et cette irréductible lutte pour la liberté. C’est une jolie façon de rappeler ce nom désuet qui a fini par quitter les assemblées pour s’installer sur les écrans ou dans les prétoires : la politique. L. L.

22.04 2016

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