16 juin > Roman Italie

"C’est vraiment dommage que nous, les êtres humains, ne soyons pas exactement comme les arbres, nus et purs jusqu’aux racines." Ainsi s’exprime avec regret Emilio, le héros du troisième roman d’Alessandro De Roma. Or, qu’on le veuille ou non, ce sont les racines de l’enfance qui nous forgent. Ici, on suit rigoureusement le narrateur de l’adolescence à l’âge adulte. Le temps de le scruter jusqu’à l’os, tant il essaie de cerner l’homme qu’il est devenu. Il porte un regard intransigeant, voire impitoyable sur son existence dénuée du moindre attachement. Quoique…

Au départ, il y a ce garçon débarquant dans un village montagnard. Une irruption occasionnée par l’orientation professionnelle de son père, qui ne l’enchante guère. Il ne fait pas bon d’être le petit nouveau à l’école, mais sa rencontre avec un autre élève marginalisé change la donne. "Je demeurerai toujours une créature exotique et hors d’atteinte, le mystérieux ami de Cosseddu : inaccessible, fier et impénétrable." Il ne s’agit pas tant d’une belle amitié que d’une opportunité. Du moins de la part d’Emilio, qui sent bien la vénération de son camarade à son égard. Comme s’il incarnait une bouée de sauvetage. A priori, rien ne les unit, si ce n’est la solitude et l’envie de silence. Celle-ci trouve son apothéose dans la nature sauvage de la Sardaigne, une région dont l’auteur est originaire. Ensemble, ils explorent "ces quelques cimes gardiennes de son identité authentique et millénaire". Espèrent-ils, en quelque sorte, donner la même pérennité à leur lien ?

Chacun renvoie un miroir à l’autre : Cosseddu en est la face pauvre et ratée, alors qu’Emilio incarne le côté affirmé et aisé. Du coup, il éprouve un mélange de fascination, de honte et d’exaspération envers ce double ombragé. De retour dans sa ville natale, il coupe les ponts avec ce copain encombrant. Mais celui-ci revient le hanter encore et toujours, comme s’il ne pouvait se détacher de cette part de lui. Quels sont les remparts contre le désespoir ? Emilio s’en prémunit par le détachement.

Redoutable, la plume d’Alessandro De Roma prend le style d’un médecin légiste pratiquant l’autopsie d’une vie. Ce quadra sarde, enseignant la philosophie, est habité par des destinées gâchées. Egocentrique, Emilio semble incapable de tisser des liens profonds. Une façon de se protéger contre ses émotions. A l’image de sa femme, qui se sert obsessionnelement du vinaigre pour effacer toute trace d’impureté. Cosseddu parvient pourtant à s’incruster dans l’inconscient de ce narrateur sans cœur. Pourquoi ce dernier est-il devenu un adulte sarcastique, irascible, cassant et horripilant ? Est-ce irréversible ? Kerenn Elkaïm
 

  • Alessandro De Roma, Tout l’amour est dans les arbres, Gallimard. Traduit de l’italien par Vincent Raynaud. Tirage : NC. Prix : 21 euros, 224p. ISBN : 978-2-07014-893-6.

 

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