Enquête

« L’humour, c’est très sérieux » : cinq auteurs se confient sur leur rapport au rire

Nathalie Quintane - Photo DR

« L’humour, c’est très sérieux » : cinq auteurs se confient sur leur rapport au rire

On demande souvent aux écrivains leurs secrets de fabrication. Cinq auteurs et autrices nous révèlent leur rapport au rire, et sans doute en creux, aux larmes.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 10.07.2025 à 17h20

Nathalie Quintane : « C’est la critique qui m’intéresse, et cela passe par l’humour »

« Il y a de l'humour dans la plupart des livres que j'ai publiés, mais sans intention de ma part. Quand j'ai fait la première lecture publique de Remarques [éditions Cheyne], je ne m'y attendais pas, une partie du public a manifesté rires et sourires. Or je n'avais aucune intention humoristique au départ. Je pense que ça tenait dans la manière d'écrire : des phrases simples et parfois tautologiques. Dans Chemoule. Un chat français [P.O.L], je décris simplement un chat qui passe son temps à dormir.

Quelques fois, comme dans Que faire des classes moyennes, ça va dans l'ironie, mais cela dépend des réceptions - on m'a parfois accusé d'être ironique au sens de surplombante. L'humour noir est une arme de défense pour les plus faibles. En URSS, les gens blaguaient encore, peut-être dans leur cuisine avec la radio à fond, mais c'était leur seul et modeste moyen de se moquer du pouvoir.

Ce qui m'intéresse le plus, c'est quand ça devient délirant, que je pousse à bout ma phrase, jusqu'à l'absurde. C'est particulièrement le cas avec Tout va bien se passer, où le délire est particulièrement fort, parce que le monde délire plus fort. C'est pour ça que j'ai toujours été intéressée par la littérature fantastique : le simple fait de prendre note de ce qui se passe dans le monde ne suffit plus, il faut trouver des formes aussi cruelles et piquantes qui nous permettent de comprendre ce qui arrive et ne plus être sidérés.

C'est la critique qui m'intéresse, et cela passe par l'humour, qui peut être redoutablement efficace pour amener la discussion. Je ne sais pas mettre de la distance autrement. »

Dernier livre paru : Chemoule. Un chat français, avec Stephen Loye (P.O.L)

 

Fabcaro : « L’humour, c’est très sérieux »

Fabcaro
Fabcaro- Photo FRANCESCA MANDOVANI / GALLIMARD

En littérature, je m'autorise des choses plus mélancoliques qu'en BD, où l'humour est ma quête perpétuelle. Et si possible l'humour crétin qui produit un rire sonore, que je trouve plus difficile à obtenir - pour l'humour malin qui prête à sourire, il y a des petites techniques. L'humour, c'est très sérieux, ça demande du travail, peut-être davantage qu'un roman sentimental qui donne les larmes aux yeux.

J'ai eu une période humour noir, mais on arrive vite à la répétition des mêmes mécaniques. J'ai alors basculé vers l'absurde, un outil infini. Je me suis demandé si le public allait suivre, mais j'aimais cette idée de le « perdre », de ne pas le séduire. Finalement, même les lecteurs les moins hardcore ont été réceptifs à l'humour absurde, historiquement plus anglo-saxon et belge que français. Cela dit, ma génération a été bercée par Les Nuls et des réalisateurs comme ZAZ (Zucker, Abrahams and Zucker), auteurs d'Y a-t-il un pilote dans l'avion ?

Il y a des choses que l'on ne peut plus dire, et tant mieux. Pour ma part, l'absurde et l'anachronisme (dans Astérix) me permettent de tout dire, car de manière moins frontale. Mais aujourd'hui, l'humour est devenu un sujet de crispation. Et ça me désole qu'il faille appartenir à une communauté pour avoir le droit de faire de l'humour sur cette communauté. Pour moi, l'humour doit être un liant, il est censé nous réunir, quelles que soient les couches sociales, nous cimenter, nous faire du bien. On devrait avoir le droit de rire de tout, mais toujours en étant bienveillant. C'est la clé de tout.

Scénariste d'Astérix. L'iris blanc (Albert René) paru en octobre 2023.

 

Will McPhail : « Je me frappe moi »

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Will McPhail- Photo DR

« J'ai toujours trouvé le désespoir très drôle. Particulièrement le mien. Donc j'imagine que mon humour relève surtout de l'autodépréciation ? On dit que l'une des règles d'or de la comédie est de « punch up » et pas le « punch down », mais je ne penche pour ni l'un ni l'autre, je me frappe moi.

Mais je ne dirais pas que je progresse. Une limace est aussi évoluée qu'un guépard. Et une limace est bien plus drôle. »

L'amour et la vermine (404 Grafic) à paraître en octobre.

 

Franz Bartelt : « Je suis aussi dénué d’humour qu’un genou l’est de cheveux »

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Franz Bartelt- Photo OLIVIER RAMONTEU

« Longtemps, j'ai cru qu'à force d'aborder des sujets aussi dramatiques que la dépression, le suicide, la mort, le crime, l'injustice, les insuffisances sentimentales, les occasions manquées, il arriverait un moment où on me prendrait au sérieux. Il n'en a rien été. La plupart des lecteurs manifestent qu'ils trouvent mes livres marrants, burlesques, loufoques, farfelus, et même, « rigolos ». Je souffrirais peut-être de ces jugements qui me réduisent à une fonction de joyeux luron. Toutefois, compensation réconfortante, personne n'a jamais eu l'idée de me traiter d'humoriste.

Je suis aussi dénué d'humour qu'un genou l'est de cheveux. L'humoriste, du moins tel qu'il est perçu aujourd'hui, est un professionnel du rire. Par déontologie, il est acculé à une obligation de résultat.

Ce n'est pas mon cas. En général, je me contente de rapporter aussi naturellement que possible ce que j'observe dans ce que la réalité a de plus ordinaire. Si cela prête à rire ou à sourire, ce n'est pas de mon fait, mais seulement parce que si on le regarde avec un semblant d'innocence, le quotidien offre tout un choix de fantaisies, d'extravagances, de bouffonneries, de mascarades, voire de malveillances, de méchancetés, de roueries, qui sont autant d'éléments constitutifs de la « comédie humaine », celle dont on fait les bonnes pages des romans.

Ce qui est drôle, c'est que la vie n'est pas drôle. Si elle l'était, le monde n'aurait pas besoin de se raconter des histoires, de bricoler des romans, de manigancer des poèmes, d'inventer toutes sortes de remèdes à la difficulté de vivre. La question de l'humour ne se poserait pas. »

Dernier livre paru : Facultatif bar (L'Arbre vengeur).

 

Frédéric Ciriez : « J’aime le drame, qui comporte sa part de rire et d’effroi »

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Frédéric Ciriez- Photo OLIVIER DION

« L'humour n'a jamais été un choix ou un projet, c'est plutôt ma nature. J'aime bien raconter des bêtises. Et j'aime profondément la satire, la critique, qui permet de confronter des idées. Enfant, j'avais un faible pour Le roman de Renart, une farce ! Ado, je lisais Hara-Kiri, un magazine un peu cinglé. Puis j'ai tenu une rubrique satirique dans l'hebdo de ma ville, Paimpol.

Des néons sous la mer [Verticales], mon premier livre, n'était pas pour faire rire : ce qui m'intéressait, c'était l'histoire fantasmagorique d'un sous-marin reconverti en lupanar. Le manuscrit était brinquebalant et loufoque, mais pour des éditeurs un peu frappadingues, c'était publiable.

Il y a toute une gamme de rires, et j'aime le drame, qui comporte sa part de rire et d'effroi. Dans Un roi à New York de Chaplin, le roi a subi de la chirurgie esthétique et une scène le montre se retenant de rire pour ne pas que son visage craque… Des gens rient en voyant les autres souffrir. Alors que dans le même temps, le monde veut qu'on soit gentil. Le stand-up n'est pas tellement subversif. C'est normé, le rire est un objet industriel, consommé comme tel lors d'une cérémonie. C'est ce que j'aime dans la littérature : la liberté totale. »

Dernier livre paru : Récits B (Verticales).

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