28 mai > BD France

Pionnier de l’autofiction graphique avec la cofondation, il y a tout juste vingt ans, de la revue Ego comme X et de la maison d’édition du même nom, Xavier Mussat n’a produit qu’un seul livre. Mais Sainte famille (Ego comme X, 2002), dans lequel l’auteur évoque sans concession son adolescence, et en particulier sa relation avec son père, a marqué par sa violence sourde et par le système narratif sophistiqué à travers lequel elle est restituée.

On retrouve ce dispositif, poussé à son paroxysme, dans le fascinant Carnation, plongée également autobiographique dans l’enfer d’une relation amoureuse toxique et destructrice. Le livre, que Xavier Mussat a porté pendant dix ans, est structuré par le monologue du narrateur, appuyé par quelques phrases prononcées par les protagonistes, des bribes de dialogues qui interviennent comme des citations. Autour de ce texte précis et économe, dense, fort, sont convoqués des lieux et des objets, des figures métaphoriques plus ou moins abstraites, dans lesquels l’environnement et le vécu du narrateur se confondent avec ses visions, avec les fantasmes et les angoisses que suscite sa relation avec Sylvia.

Lorsqu’il la rencontre, le dessinateur, qui travaille aujourd’hui à Paris dans l’enseignement artistique, est encore installé à Angoulême où, après des études à l’école des beaux-arts, il travaille dans le dessin animé, notamment pour le célèbre Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot. Souvent décalé dans ses relations amoureuses, il se montre vite avec Sylvia aussi passionné et empressé qu’elle reste distante, pour ne pas dire revêche, avant de s’incruster, sa dépression hargneuse en bandoulière, dans une relation longtemps platonique.

Plus il la perçoit comme une victime, plus elle se dévoile comme une manipulatrice pathologiquement perverse et narcissique qui l’empoisonne, le piège et l’isole. "Le sauveur poursuit la douleur des autres. Il s’éprend de noirceur pour la dissiper de sa seule volonté. Il se croit noble et tout-puissant. Il établit une relation de dépendance. Il se convainc qu’il aime. Mais rien ne vient le rassasier : on ne l’aime pas en retour. Qui pourrait aimer celui qui ne voit en l’autre que ce qui souffre ?" reconnaît lucidement Xavier Mussat sur le dessin d’un poulpe protéiforme. Les deux personnages sont entraînés dans un ballet sauvage, pour la représentation duquel Xavier Mussat fait preuve d’une impressionnante inventivité graphique. Il démontre avec éclat la puissance d’évocation et d’analyse de la bande dessinée quand elle est portée à son plus haut niveau.

Fabrice Piault

08.05 2014

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