À bas les masques. La comparaison a des airs d'évidence. En lisant You Could Be So Pretty, difficile de ne pas penser à la saga Uglies de Scott Westerfeld, pape de la fiction young adult quand le genre n'en était qu'à ses balbutiements. Récemment adaptée sur Netflix, cette dystopie en cinq tomes mettait en scène une société sous le joug de la beauté parfaite, obligeant les adolescents à subir une opération de chirurgie esthétique à 16 ans pour correspondre aux canons de beauté en vigueur et devenir des « Pretties ». Il y a toutefois une différence dans le roman d'Holly Bourne : rentrer dans les cases n'est pas une obligation, on y est poussé par des injonctions vicieuses où l'illusion du choix est présente.
« C'est mon choix » martèlent ainsi les personnages féminins de You Could Be So Pretty lorsqu'elles prennent des mesures drastiques pour appartenir à la catégorie des « Jolies » : ajuster quotidiennement leurs « Masques » − un look parfait −, faire valider leurs apparences par un classement numérique et accepter la violence, sous-jacente ou non, des hommes, pour éviter d'être étiquetées comme des « Gênantes », des « Forceuses » ou pire, des « Invisibles ». Une société de castes plus ancrée dans le réel et contemporaine que celle imaginée par Scott Westerfeld, et portée par un propos militant de la part d'Holly Bourne. Cependant, plus qu'un pamphlet politique contre la dictature de l'apparence et ses soubassements patriarcaux, You Could Be So Pretty est l'histoire d'une rencontre : celle de Belle, la reine d'un lycée modeste, et de Joni, une activiste harcelée quotidiennement pour son refus de se plier aux normes. Une relation conflictuelle et improbable se noue entre les deux jeunes filles, scellée lorsque Joni sauve Belle d'une agression sexuelle.
Éloigné de la grandiloquence des dystopies ado traditionnelles, You Could Be So Pretty ne se dirige pas vers le démantèlement peu réaliste d'un système par deux adolescentes. En rupture avec les codes de ce genre littéraire, Holly Bourne préfère faire le récit d'une révolte à taille humaine dans laquelle interviennent toutes les générations. Ici, plus d'attention est portée sur l'effacement des femmes âgées, la solidarité intergénérationnelle, l'amour queer, la ségrégation urbaine. You Could Be So Pretty étonne par la pluralité des thématiques abordées. Une variété sans doute symptomatique de la politisation plus vaste d'une jeune génération biberonnée aux réseaux sociaux, à leurs pires aspects comme aux plus enrichissants.
You Could Be So Pretty
Nathan Jeunesse
Traduit de l’anglais par Anne Guitton
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 17,95 € ; 384 p.
ISBN: 9782095031855