5 mai > Roman France

"Tu as l’âme froide, je me demande qui tu as jamais aimé." Ces paroles, terriblement justes, sont adressées, dans l’un des moments les plus intenses du roman d’Alain Absire, à Maximilien de Robespierre par Marie Curtius, en mai 1794, à la veille de la fête de l’Etre suprême instaurée par lui, dictateur encore au pouvoir - et en vie - pour quelques mois.

Robespierre a fait appel à Marie dès l’été 1789, juste après la prise de la Bastille, alors qu’il était un révolutionnaire bien tiède et non le fanatique assoiffé de sang de ses derniers temps, afin qu’elle immortalise et aide à mettre en scène le comte de Lorges. Ce vieil homme était l’un des prisonniers que la foule a libérés le 14 juillet, l’une des victimes de l’arbitraire royal. La propagande du nouveau pouvoir veut en faire "la matérialisation de l’injustice universelle". Marie possède un don, hérité de son oncle Curtius : elle est céroplasticienne, ou "cirière". Elle sait prendre l’empreinte d’une tête pour en faire un masque, mortuaire ou non, elle connaît aussi tout de la physiologie, de la thanatopraxie. Bientôt, un projet naît : constituer un cabinet de curiosités, un musée Grévin ou Tussaud avant l’heure, où figureraient les portraits en cire des illustres révolutionnaires : Camille Desmoulins (condisciple de Robespierre au lycée Louis-le-Grand), Marat, Danton ou Mirabeau ont accepté de poser. L’Incorruptible succombe à son tour.

Car il nourrit pour la belle Marie, une "aventurière" mais aussi une femme de convictions humanistes, une sorte de passion. Elle l’obsède, il est jaloux de tous les hommes qui passent entre ses mains. Pour la bonne cause. Mais il sait cet amour impossible. Robespierre est un être torturé, victime d’un eczéma purulent qui le complexe et anéantit toute tentation sexuelle. Et il n’y a de place, dans son cœur, son âme et sa vie, que pour la Révolution, le peuple.

Cette belle intrigue romanesque permet à Alain Absire de revisiter à sa façon l’histoire de la Révolution française, de l’été 1789 au 10 Thermidor an II, ou 28 juillet 1794, date de l’exécution de Robespierre au moyen de cette guillotine commandée au docteur Guillotin, un philanthrope qui espérait adoucir ainsi le sort des condamnés à mort, surnommée la Veuve, et qui a tant servi durant ces années terribles. Construit en trois actes comme une tragédie classique, Mon sommeil sera paisible surprend des conversations tendues, montre des scènes dramatiques avec réalisme voire crudité, de manière très visuelle, à la manière d’un Goya, ou d’un Greuze.

Avec ce roman, son premier chez Gallimard, Alain Absire revient au meilleur de son inspiration, celle de Lazare ou le grand sommeil (Calmann-Lévy, 1985), ou de L’égal de Dieu (Calmann-Lévy, 1987, prix Femina), nourrie d’interrogations métaphysiques, portée par une technique narrative et une écriture rares. J.-C. P.

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