C'est un poème griffonné à la va-vite par un homme amoureux, le matin de son mariage. Une traduction de Heine : "Mélisande ! Que sont les rêves ?/Qu'est la mort ? Chimère./La vérité appartient à l'amour seul,/Et, beauté éternelle, je t'aime." Ce texte, tous les autres (ceux lus, ceux écrits, petits mots échappés du quotidien témoignant de la brève éternité de l'amour), c'est la bande-son de la vie d'Hoo, 30 ans, le temps d'un regret, du New York des années 1950 à une île grecque dans les années 1980. Mélisande, c'est la femme aimée, perdue et pourtant éternellement retrouvée, qu'il a choisie et qui ne le choisit à son tour qu'après s'être offerte à son meilleur ami, Ricky. Lui, hippie magnifique avant l'heure, égaré peu à peu sur les chemins de la folie, c'est leur remord commun. Pourtant, qu'elle était jolie leur romance à la Jules et Jim dans l'Amérique des campus coincée entre la Corée et Kennedy. Mais l'un en tenait pour Camus et Dostoïevski, l'autre pour la philosophie antique, et la troisième ne jurait que par la poésie de Keats. Il est des différences qui séparent plus sûrement que le temps qui passe à ne jamais passer vraiment...
Lorsqu'un homme, qui a voué sa vie aux livres sans jamais oser prendre d'autre risque que celui de l'exégèse, s'autorise, le soir venu, la liberté du roman, comme une confession trop longtemps retenue, il convient d'y prêter attention. Le coup d'essai y voisine souvent avec celui de maître. Il en alla ainsi de Lampedusa, de Gesualdo Bufalino. Ce sera désormais aussi le cas d'Hillel Halkin qui, à 72 ans, nous offre avec Mélisande ! Que sont les rêves ? un premier roman sublimement élégiaque. Né à New York en 1939, vivant en Israël depuis 1970, traducteur de l'hébreu vers l'anglais des grands maîtres de la littérature israélienne, Halkin n'avait jamais publié que des essais sur l'identité de son pays d'adoption et le morcellement de la mémoire juive. Ici, rien de cela, si ce n'est cette même mémoire qui n'en fait qu'à sa tête. Dans une langue épurée où la nostalgie ne convoque jamais la mièvrerie, c'est une histoire d'amour qu'il nous offre. Une histoire vraie où la vérité appartient à l'amour seul.
