Sans surestimer, dans la construction d’un écrivain, la part de l’hérédité, on peut déceler dans le tropisme oriental d’Alain Blottière quelques origines familiales : sa mère, une juive turque de bonne bourgeoisie, et son père, « goy, divorcé, pas riche et bien plus âgé », se sont rencontrés à Istanbul, en 1943, durant cette guerre où M. Blottière père, pionnier d’Air France, jouait les barbouzes gaullistes. Ils se marient en 1948. Et Alain est né à Neuilly, en 1954. Cette histoire fournirait matière à un sacré roman d’aventures. Mais « toutes les archives de mon père ont brûlé », regrette le fils.

Lorsqu’il était jeune, Alain se sentait l’âme d’un nouveau Rimbaud : il écrivait des poèmes (« demeurés inédits »), et s’était rendu en 1976, grâce à une bourse de la Guilde du Raid, sur les traces du « Voyant », jusqu’à Tadjourah, en République de Djibouti. « Le village n’avait pas changé depuis le passage de mon idole », se souvient-il. Il métamorphosera cette aventure dans son premier roman, Saad, dont Rimbaud est l’un des héros.

Ses paradis, ensuite, ont été indonésiens. Et puis, en 1979, il voyage en Egypte, en « touriste classique ». « A 25 ans,j’avais terminé mes études de lettres modernes à Nanterre par une maîtrise sur Leiris et écrit Saad, pas encore publié. Parce que je ne voulais pas être prof, j’avais aussi commencé à bosser un peu dans l’édition, comme lecteur, correcteur…» Le pays l’enchante. Le Nil, surtout. De sa première fois au Caire, en revanche, il ne se souvient plus bien, à l’exception de la chicha, et du haschich, « en vente libre chez des marchands qui avaient pignon sur rue ». Il trouve même quelques fumeries d’opium. Sadate et Moubarak ont ensuite fermé tout ça, du moins officiellement.

Et puis, il découvre Siwa (ou Siouah), cette oasis au cœur du désert, à la frontière libyenne, célèbre dans l’Antiquité pour son temple d’Amon-Rê où Alexandre le Grand s’est rendu en 331 av. J.-C. afin d’en consulter l’oracle. Une légende veut même que son corps y ait été transporté et enseveli plus tard, lors de la décadence d’Alexandrie. « A l’époque, raconte Alain Blottière, l’oasis était difficilement accessible. Près de 1 000 kilomètres depuis Le Caire, en passant par Alexandrie et Marsa Matrouh. Pas d’électricité, ni de télé, et un sauf-conduit obligatoire, pour des raisons militaires, jusqu’en 1987.» Siwa, c’est « un petit coin en marge du reste du pays, peuplé de Berbères, les seuls d’Egypte, où l’on parle un dialecte local, le siwi, et où les garçons se mariaient entre eux. Mais que les gays ne s’y précipitent pas : c’était au XVIIIe siècle !» Même si, depuis, tout a bien changé, l’écrivain est tombé amoureux de l’endroit, où il retourne plusieurs mois par an. Il y a acheté une petite propriété, où il cultive des olives et des dattes. Au mépris des serpents, scorpions et autres sales bêtes qui, outre ses 20 000 habitants, peuplent l’oasis.

Pays d’adoption.

Saad, accepté par Georges Lambrichs, est paru en 1980 dans sa collection « Le chemin », chez Gallimard, où Michel Braudeau est désormais l’éditeur des romans d’Alain Blottière. Egyptiens, pour la plupart : comme Le point d’eau (1985), qui se passe à Siwa, ou Si-Amonn, « péplum » antique paru au Mercure de France en 1998, dont l’auteur disait alors que ce serait son dernier roman. « Je le croyais vraiment, explique-t-il, déçu par l’écho médiocre d’un livre qui [lui] avait coûté tant de travail.» Il a heureusement changé d’avis depuis, et jure que « [son] prochain roman ne sera pas égyptien ».

Ecrivain rare (sept romans et six récits en trente-quatre ans de carrière), Alain Blottière aime « les décors métaphoriques qui donnent du sens à l’histoire ». Or, «la ville, pour lui, n’est la métaphore de rien». Il s’en échappe aussi souvent qu’il le peut, en Egypte et dans ses livres : le dernier, Mon île au trésor, est le récit de cette quête.

Lorsqu’il est à Paris, Alain Blottière vit comme auteur sous pseudonymes d’ouvrages pratiques ou de livres d’art, majoritairement publiés chez Flammarion. Et il les signe de mots désignant… des boissons égyptiennes, Oscar Cadet, Labane (« Le lait ») ou Assire (« Jus de fruits »)…

Là, Blottière s’apprête à regagner son pays d’adoption dont, grâce à ses amis, il suit la révolution en cours. «Ce que veulent les Egyptiens, dit-il, c’est l’amélioration concrète de leur vie. Le“Dégage !? lancé à Morsi, qui, contrairement à ce qui se dit en Occident, n’avait pas été élu démocratiquement mais grâce à la fraude, c’était pour des raisons économiques et sociales plus que religieuses. Mais, à Siwa, on est un peu à l’écart. » Il va être temps de récolter les olives.

Jean-Claude Perrier

Mon île au trésor : dans les sables de Libye, Alain Blottière, Arthaud, 230 p., 16 euros, ISBN : 978-2-08-129792-0, mise en vente le 25 septembre.

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