3 septembre > Histoire littéraire France

A la mort de Jean Voilier, en 1996, à 93 ans, qui savait encore qu’il s’agissait d’une femme au destin exceptionnel qui fut, du 6 février 1938, date de la première visite de l’écrivain en son hôtel particulier de la rue de l’Assomption, jusqu’à la mort de ce dernier, le 20 juillet 1945, le dernier grand amour de Paul Valéry ? Non point une maîtresse de plus, pour cet homme à femmes derrière ses apparences bourgeoises de "père tranquille" mais l’objet d’une passion fusionnelle, comme, en son temps, Catherine Pozzi (morte en 1934), et aussi une muse. Miraculeusement préservés, on a publié les 150 poèmes enflammés, voire crus, qu’il lui a dédiés (Corona & Coronilla, paru chez de Fallois en 2008), mis en vente publique par elle, tout comme les manuscrits précieux que Valéry lui avait offerts, et les quelque mille lettres qu’il lui avait adressées, plus que sensuelles elles aussi (Lettres à Jean Voilier, choix de lettres 1937-1945, Gallimard, 2014). Une révélation dont la famille se serait bien passée, en dépit des témoignages littéraires manifestes de leur idylle : c’est grâce à sa maîtresse, qu’il appelait son "Jasmin", tandis que lui se surnommait plaisamment "l’Assomptionniste", que Valéry, forçat de la plume, a retrouvé tardivement l’inspiration, et composé sa Cantate du Narcisse (dédiée à Jeanne), ainsi que Mon Faust, inachevé et très démarqué de leur histoire.

Mais cette passion fut aussi pour Valéry une torture : Jeanne Loviton était beaucoup plus jeune que lui (de trente-deux ans), et c’était une femme libre, mariée à l’écrivain Pierre Frondaie (celui de L’homme à l’Hispano) puis divorcée, infidèle, et qui fit souffrir tous ceux et celles qui l’ont aimée : Me Maurice Garçon, Jean Giraudoux, Yvette Dornès, entre autres. Avocate, éditrice, écrivaine elle-même sous le nom de Jean Voilier, elle a publié trois romans, dont Ville ouverte, en 1942, illustré de lithographies de Valéry, avant de rencontrer l’authentique homme de sa vie, l’éditeur Robert Denoël, compromis à l’extrême dans la collaboration et assassiné le 2 décembre 1945, presque dans les bras de Jeanne. "Drogué" d’elle, en manque, désespéré, suicidaire, le poète avait rejoint son Cimetière marin quelques mois auparavant, célébré par la République et le général de Gaulle en tant que symbole du génie français et de la liberté retrouvée. Héritière des éditions Denoël, Jeanne les a cédées, en 1951, à Gaston Gallimard, "le pire ennemi" de Robert.

C’est au service de cette passionnante histoire littéraire que Dominique Bona a mis tout son talent de biographe et de romancière. Pour être juste, il fallait du doigté et de la sensibilité, de la précision et de l’élégance. Tout y est, sans apriori aucun. Les destins de Valéry et de Jeanne se croisent, s’unissent puis se séparent, le tout replacé dans une époque au cœur de laquelle, chacun à sa façon, ils se sont trouvés. Jean-Claude Perrier

Dominique Bona, spécialiste de la tribu Valéry-Rouart-Morisot, publie également, en octobre chez Gallimard, l’album Les Rouart, de l’impressionnisme au réalisme magique qui accompagne une exposition itinérante. La fille de Paul Valéry, Agathe, avait épousé Paul Rouart, tandis que sa femme, Jeannie, était une nièce de Berthe Morisot.

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