Sombre odyssée. Né en 1972, Laurent Gaudé est l'auteur, depuis 1997 et Onysos le furieux (Théâtre ouvert, repris en 2000 chez Actes Sud, où tous ses livres sont publiés) d'une œuvre importante et exigeante, vaste et diverse, polymorphe (théâtre, donc, romans, dont Le soleil des Scorta, prix Goncourt 2004, nouvelles, récits, poésie, littérature jeunesse...). L'humain y est toujours placé au centre de tout, à la manière de la philosophie et de la mythologie grecques antiques, deux des principales sources d'inspiration de ce Méditerranéen de cœur qui y revient sans cesse.

Comme Laurent Gaudé n'hésite pas à prendre à bras-le-corps les sujets de notre époque - la violence, les attentats, l'immigration, les menaces que la technologie et l'hypercapitalisme font peser sur nos démocraties... -, on peut dire de lui qu'il est un écrivain engagé à sa façon, discrète, et qu'à l'instar d'André Gide, il essaie d'« assumer le plus possible d'humanité ».

En 2022, avec Chien 51, Gaudé, sans cesse en quête de nouvelles pistes, inaugurait un diptyque dystopique, sombre et violent, dont le héros, un ancien flic mal vu par les autorités de Magnapole, aux mains du consortium GoldTex, est un Grec qui a été arraché à sa ville, Athènes, et à son pays, trente ans auparavant. Chien 51 a été adapté au cinéma par Cédric Jimenez. Le film sortira en octobre 2025, avec Gilles Lellouche dans le rôle de Zem et Adèle Exarchopoulos dans celui de Salia Malberg, sa collègue, traumatisée par un violent passage à tabac qu'elle s'efforce d'exorciser dans son métier de policière. Elle a sauvé Zem d'une tentative de suicide, le ramenant à la vie malgré lui. Et, par la force des choses, ils vont ici à nouveau travailler en binôme, sur une enquête complexe et hautement inflammable.

Alors que le politicien Barsok, chef de la Commission des Grands Travaux, vient inaugurer la Fête des 500 Jours et assiste, sur le port, à l'arrivée d'un énorme bateau chasseur d'icebergs en provenance du Groenland (l'élite en recueille et boit l'eau, précieuse, surnommée « l'or froid »), un incident se produit : un chariot fonce à toute allure vers les officiels. Zem, devenu le garde du corps de Barsok, a tout juste le temps de le sauver. Le chariot lâche son conteneur, qui s'ouvre et révèle une macabre cargaison : cinq corps, nus et sagement assis. Trois étrangers inconnus des services de police, et deux Rebuts, théoriquement expulsés. Confiée à Salia à qui Barsok adjoint Zem, l'enquête va s'avérer dangereuse, ardue, et révéler toute la violence tapie au cœur du système GoldTex.

Tout cela est angoissant, d'autant que Laurent Gaudé, ainsi qu'il l'indique dans son « mot de l'auteur », n'a pas tout inventé : les chasseurs d'icebergs existent bel et bien, de même que « les endroits du monde où des esclaves creusent la terre pour nous procurer de l'énergie ». Le roman se fait parabole et s'achève à la manière de l'Odyssée. On n'en dira pas plus.