Il y a là des communistes, des chrétiens libéraux, des avocats. Ce sont des pieds-noirs, des Français favorables à l'indépendance qui disent non à la terreur et à la guerre. Après avoir été torturés à l'eau ou à l'électricité dans la villa Sésini, ils se retrouvent au camp de Lodi, une ancienne colonie de vacances transformée en 1954 pour accueillir ces Français réfractaires. Parmi ces femmes et ces hommes engagés, on croise Fernand Doukhan auquel la journaliste Nathalie Funès - elle travaille au Nouvel Observateur - avait consacré une enquête il y a deux ans (Mon oncle d'Algérie, Stock, 2010). On retrouve cette même veine dans Le camp de Lodi où tant de destins sont venus s'échouer et sur lequel plane la "disparition" de Maurice Audin, le professeur assassiné.

La reporter raconte la vie quotidienne dans le camp, les cours donnés par quelques-uns, les moyens de faire passer des informations pour d'autres, l'écriture pour Henri Alleg. Car ils souhaitent tous révéler la nature de ce qui se passe en Algérie. Dans cette histoire, la parution de La question en 1958 est décisive : 60 000 exemplaires vendus en quelques semaines avant l'interdiction, et l'indignation de Sartre, Mauriac, Malraux...

Le camp ferme en 1960, mais ces hommes et ces femmes n'en ont pas fini pour autant avec les sévices qui changent de camp après le coup d'Etat de Boumediene. En dix ans, certains d'entre eux ont subi la fureur de la Gestapo, des paras et du FLN. C'est désormais la traversée définitive de la Méditerranée et pour beaucoup l'amertume.

La qualité de ce livre, qui va droit au but, évite les assauts de mémoires et montre la complexité du sujet, réside dans les extraits de lettres, les documents, les témoignages et surtout les scènes fortes. C'est le cas avec Eliette Loup, une femme qui devient agent de liaison du FLN. Après avoir été torturée par un parachutiste aux allures d'acteur américain, elle lui lance droit dans les yeux : "C'est étonnant qu'un si beau garçon soit si méchant." Le bourreau a rougi...