4 JANVIER - ROMAN France

Il était d'usage autrefois, dans les familles bourgeoises et traditionnelles, que les jeunes filles, dans l'espérance de leur mariage, brodent, et souvent à plusieurs, ce qu'on appelait leur trousseau, partie intégrante de la dot. Ce fut le cas dans la famille Piazza, où l'écrivain, depuis ses débuts, confie avoir puisé la matière de son oeuvre. A la fin du roman, d'ailleurs, réapparaissent quelques mouchoirs blancs et intacts, ornés de quatre A, au chiffre des quatre tantes de l'auteur, de fortes femmes qui fournissent au roman sa charpente. L'aînée est Annabelle dite "Nabelle", plutôt odieuse, qui entend régenter tout le reste de la fratrie, et ne s'intéresse, en fait, qu'aux déboires conjugaux de sa fille Kline, dont elle se délecte. Armelle, la seule qui ait quitté Maillac pour "monter à Paris", a épousé un ancien pétainiste et donne des cours de piano. Elle est d'une avarice sordide, dont le narrateur, enfant, fera l'expérience lorsque sa tante aura insisté pour l'emmener avec eux en vacances sur la Costa Brava, en 1971. Un cauchemar. Enfin, Alice et Angèle, les deux inséparables, et deux sacrées bonnes femmes. L'une a été infirmière de guerre, notamment en Indochine, et règne de façon incontestée sur l'hôpital de Meillac. L'autre est devenue bonne soeur, puis mère supérieure de son couvent, avant de se défroquer, et de venir s'installer à Nice, où elle a créé un centre d'assistance aux prostituées. C'est là aussi, enfin, qu'elle a connu ses premiers émois avec un homme, le voisin du dessus, juste avant que celui-ci ne trépasse...

A part ceux qui travaillent ensemble à Meillac, comme le père du narrateur dans l'usine familiale que l'oncle Louis dirige de main de maître - et a magnifiquement fait prospérer en ajoutant la fabrique de gélatine au traitement ancestral de la laine de mouton -, tout ce petit monde ne se retrouve qu'à Noël, aux mariages et aux enterrements. Aux enterrements surtout. Le roman commence ainsi avec celui d'Alice, à Nice, en 1999. Chronologiquement déconstruit, chacun des douze chapitres se situant à un moment différent de la saga des Piazza - à la souche, un aïeul piémontais immigré - de 1906 à 1999. Mais très composé, puisque les chapitres sont centrés sur un personnage ou un événement : par exemple comment, durant la guerre, Tante Alice a repoussé, à soi seule et au péril de sa vie, une douzaine de soldats allemands venus fouiller son hôpital afin d'y découvrir les juifs que, bien entendu, elle y cachait. Ainsi le puzzle familial se met en place, assemblé naturellement par le narrateur, selon ses souvenirs et sa vision des choses.

Il paraît presque superflu d'insister sur la dimension proustienne de l'entreprise d'Antoine Piazza, qui, dès ses débuts, en 1999, avec le magnifique Roman fleuve, avait assumé ses affinités avec le narrateur de la Recherche. Bien sûr, Meillac n'est pas plus Mazamet que Combray n'est Illiers, ou Balbec Cabourg. Mais chez Piazza comme chez Proust, tout est romanesquement authentique et les méandres du style rendent parfaitement compte du travail d'anamnèse, de cette "recherche du temps perdu » qu'ont en commun le petit Marcel et l'instituteur de Sète. Jusqu'à l'odeur des balles de laine qui est un peu sa madeleine à lui. Piazza est à la fois un écrivain rare et précieux. A condition que le lecteur se laisse complètement porter par son écriture, Le chiffre des soeurs est un véritable enchantement.

Les dernières
actualités