Roman/France 2 janvier Didier Le Pêcheur

Treize ans entre deux romans (Les hommes immobiles, JC Lattès, 2006), pour un écrivain, c'est presque une éternité. Didier Le Pêcheur a été infidèle à Clio ou Calliope, les délaissant - provisoirement - au profit du cinéma et de la télévision, en tant que scénariste et réalisateur. Mais le voici de retour, avec un beau gros et ample roman historique, un « drame plébéien » dont le héros est Jules Lhérot, un jeune flic qui apprend vite à devenir un ripou sans scrupule, prêt à tout pour conquérir celle dont il est tombé d'emblée amoureux fou, Zélie, une pauvre fille de prolos devenue prostituée parce qu'elle n'avait pas grand-chose d'autre à vendre que son corps et son frais minois.

L'histoire débute à Paris, en 1892, alors que la ville résonne du fracas des attentats de la bande à Ravachol, le redoutable anarchiste qui terrorise les bonnes gens et met la police sur les dents, en pleine Exposition universelle. Toutes les polices, celle du préfet Lépine - secondé par le fidèle commissaire Reynaud, un esthète, poète à ses heures et plutôt porté sur « la jaquette » -, comme celle de son ennemi juré, Puybaraud, capable du pire pour s'arroger la gloire d'avoir mis fin aux crimes de l'ennemi public numéro un. Et justement, c'est Jules qui a permis son arrestation, avant d'entrer dans la police. On pense à l'univers de Vallès, d'Eugène Sue, du Zola de Nana, et de tous les naturalistes. Sauf que Lhérot a existé, Zélie aussi, inspirée du personnage d'Amélie Elie, alias « Casque d'Or ». Le commissaire également, qui s'appelait Reynaud avec un e, et a laissé trois recueils de Souvenirs de police, où Didier Le Pêcheur a puisé la matière dont il avait besoin. Ces trois-là ne se sont, semble-t-il, jamais rencontrés. Mais l'imagination du romancier était là pour réparer cette erreur de l'histoire. Brillamment.

Ce Bref désir d'éternité a beau être long, il se dévore, mêlant plusieurs intrigues échevelées, tout un tas de personnages hauts en couleur, notamment les marlous et les péripatéticiennes, mais aussi un journaliste sans foi ni loi, son directeur arriviste politique, et sa femme, prostituée occasionnelle par ennui. Encore une Madame Bovary qui finira mal. Mais le personnage principal, au fond, c'est sans doute Paris, ce Paris de Victor Hugo et des Misérables, celui des quartiers périphériques, des fortifs, où il ne faisait pas bon pour le bourgeois, ou le policier, de se hasarder, mais déjà en voie de gentrification. Le Pêcheur ne tombe jamais dans le folklore, mais le lecteur s'y croit, à chaque page. Et, bien entendu, ce roman ferait une excellente série télévisée, le samedi soir sur France 3.

Didier Le Pêcheur
Un bref désir d’éternité
JC Lattès
Tirage: NC
Prix: 19,50 euros ; 496 p.
ISBN: 9782709662413

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