avant-portrait > Michel Toubiana

Quelques lignes, dans les premières pages du recueil de Mémoires que publie Serge Toubiana, Les fantômes du souvenir, justifient à elles seules cet exercice autobiographique et introspectif et lui donne sa couleur, somme toute plutôt crépusculaire. L’auteur se souvient de s’être dit, en 2005, à la mort de son père, un Juif tunisien venu de Sousse et installé sa vie durant comme horloger à Grenoble, que "cet homme à qui je ne m’étais jamais confié, que j’avais si souvent vu réparer des montres et remettre en marche l’horloge du temps, je me suis aperçu, trop tard, qu’il exerçait un métier ayant une relation métaphorique avec le cinéma. […] Entre une mère qui transmettait l’amour des mots et l’apprentissage de la langue et un père qui passait son temps à réparer le Temps, j’ai hérité de cette chose étrange, le cinéma, qui était en quelque sorte le bien commun offert à tout le monde."

Réparer. Ce n’est pas un métier, ce peut être un destin. De son propre aveu, Toubiana aura passé sa vie à réparer deux des institutions les plus turbulentes et complexes du septième art : les Cahiers du cinéma d’abord, récupérés moribonds au cœur des années 1970 et dont il refera, avec Serge Daney d’abord puis autant de jeunes turcs, Assayas, Bonitzer, Jousse, de Baecque, Saada, la revue de référence durant toute la décennie 1980 au moins ; ensuite la Cinémathèque française, dont il accompagnera le déménagement de Chaillot vers Bercy et la mue en véritable lieu ressource autant que musée du cinéma. De l’un à l’autre, Serge Toubiana furètera dans les contre-allées du pouvoir, de la mission du centenaire à la présidence de l’avance sur recettes en passant par l’édition en produisant, pour Marin Karmitz, d’impeccables collections de DVD de grands auteurs.

Le cinéma est mort

Il reçoit dans son grand appartement parisien, lumineux, élégant sans ostentation, bercé par les cris des enfants d’une école voisine. Partout, des livres. Un écrivain, et non des moindres, vit là : sa compagne, Emmanuèle Bernheim. Parmi les amis les plus intimes, Pascal Quignard. L’homme qui a quitté la Cinémathèque au début de cette année et s’est attelé à ses Mémoires comme l’on se met en règle, d’abord avec soi-même, vit à Paris depuis 1971 mais, dit-il, toujours comme un provincial.

Selon lui, il est dans ce livre moins question de lui qu’encore et toujours du cinéma, de la nécessité de transmettre aussi. Ces Fantômes sont un peu sa Chambre verte avec dans le rôle des chers disparus, en première ligne, une triade de passeurs magnifiques, Serge Daney, François Truffaut et Maurice Pialat. Rétif à toute assignation à résidence identitaire (entre le gauchisme et la judéité, il en a eu, jeune, sa part), Toubiana est un mélancolique qui ne s’ignore ni ne se soigne. "La question de notre époque, c’est la mémoire. C’est ma hantise. L’oubli, l’effacement. Le temps présent me paraît comme disloqué." Bien sûr, le cinéma est mort. Mais alors ce livre est le plus vivant des actes de décès.  Olivier Mony

Serge Toubiana, Les fantômes du souvenir, Grasset. Prix : 20 euros, 430 p. Sortie : 26 octobre. ISBN : 978-2-246-86118-8

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