18 février > Biographie France

"Oh East is East and West is West, and never the twain shall meet" ["L’Est est l’Est et l’Ouest est l’Ouest, et entre eux, nulle union jamais"] dit l’un des célèbres vers de Kipling. Le sinologue et auteur belge Pierre Ryckmans, alias Simon Leys, disparu en 2014 en Australie où il vivait depuis plus de quarante ans, contredit l’écrivain britannique. Simon Leys, c’est plutôt "Ex oriente lux" ("La lumière vient de l’orient"), la devise de son parrain, son oncle Gonzague, qu’il aurait reprise à son compte. Ce prêtre et ancien aumônier gazé dans les tranchées de 14-18 l’avait fortement encouragé dans sa jeunesse dans ses études de chinois après un voyage initiatique en 1955. Car Leys - le pseudonyme qu’il choisit en référence au roman de Victor Segalen René Leys lorsqu’il signe en 1971 Les habitsneufs du président Mao -, c’est le passeur de cultures : le traducteur des Propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère du lettré chinois du XVIIIe siècle, Shitao ; le junzi par excellence, "l’honnête homme" selon Confucius, qui met l’étude et la vertu au-dessus de l’arène de la course aux honneurs. Philippe Paquet lui consacre une magistrale biographie. Universitaire, attaché culturel, grand voyageur, Simon Leys était un de ces singuliers représentants de l’humanisme universel, écrivain trilingue - en français, en anglais et en chinois -, perpétuellement curieux du monde contemporain, empêcheur de tourner en rond : il dénonce les horreurs du maoïsme dès 1971 dans un essai, Leshabits neufs du président Mao publié chez un éditeur de l’ultra gauche libertaire proche de Debord, Champ libre, alors que l’intelligentsia parisienne est acquise à la cause du Grand Timonier. Né en 1935 au sein d’une vieille famille de juristes de Malines, Simon Leys n’a jamais été un chercheur en sa tour d’ivoire. C’est plutôt Tintin, mais qui aurait pu échanger en chinois avec Tchang de poésie Tang et de peinture Song, et en bien plus ironique ! On sourit de cette façon qu’il avait de démasquer les impostures. Féroce critique littéraire, il dit de la prose de Bernard-Henri Lévy qui livre ses Impressions d’Asie qu’elle "a tendance à enfler" et, "comme un ballon gonflé d’air chaud", "s’élève bientôt jusqu’à la zone des Hautes Platitudes". Ne cédant pas aux modes des post-colonial studies, il s’inscrit en faux avec Edward Said, l’auteur de L’orientalisme, qui ne voit que visées impérialistes dans la curiosité et le véritable émerveillement de la culture de l’Autre. En catholique fervent, il se moque de l’athéisme militant de Christopher Hitchens qui confond le cœur et la raison et qu’il compare à un client auquel on aurait servi une tartine de caviar et qui se plaindrait que la confiture ne fût pas bonne.

Du Congo belge, où son oncle est gouverneur-général et qu’il visite à 20 ans, à Sydney où il mourra, à ses séjours en Chine, à Hongkong, à Formose, au Japon, en Californie, on ne cesse d’admirer l’incroyable parcours du lettré bourlingueur, l’itinéraire intellectuel sans pareil d’un "navigateur entre les mondes". S. J. R.

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