Peste, choléra, sida. L’Histoire a aussi été façonnée par les microbes ! C’est le constat que l’on tire de cet essai passionnant signé par deux spécialistes de ce monde invisible. Patrice Debré, professeur d’immunologie à l’université Paris-6 Pierre-et-Marie-Curie, médecin hospitalier et chercheur à La Pitié-Salpêtrière, est l’auteur chez Flammarion d’un Louis Pasteur (1995) et d’un Jacques Monod (prix de la Biographie de l’Académie française en 1997). Jean-Paul Gonzalez, virologiste et épidémiologiste, directeur de l’unité Maladies virales émergentes et systèmes d’information à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), a étudié les virus en Afrique pendant de nombreuses années.
Ces deux experts ont mis leur savoir en commun pour nous proposer de regarder l’Histoire sous le microscope, c’est-à-dire d’observer la lutte constante avec cet ennemi intime qui remonte aux premiers temps de la vie. Car si on ne sait toujours pas qui des virus ou des bactéries sont apparus les premiers, on constate combien cette proximité avec l’homme a généré des drames avec ses conséquences sanitaires, économiques, écologiques et politiques. « Fardeau de l’humanité depuis toujours, les maladies infectieuses ont exercé de fortes pressions de sélection sur les populations. Ainsi le germe a-t-il orienté l’évolution des hominidés et favorisé la diversification de nos capacités de défense. » Les auteurs expliquent que les premières épidémies apparaissent au néolithique dans les sociétés sédentarisées. La domestication des animaux favorise la transmission de germes qui franchissent la barrière des espèces. « Le bœuf a ainsi transmis la variole, la lèpre, la tuberculose, la typhoïde, les salmonelles, le ténia. Le mouton nous a légué le charbon, le porc et le poulet la grippe, et le cheval le tétanos. »
Plusieurs chapitres sont évidemment consacrés au moustique agent du paludisme, au pou qui véhicule le typhus ou à la puce qui sur le dos des rats dissémine la peste. Et puis, il y a l’interaction du milieu et de l’homme lui-même sur ces épidémies, la concentration des populations dans les villes et l’immigration. « Les facteurs de diffusion épidémiques dépendent aussi des voyages et des échanges commerciaux. » Entre 1940 et 2004, 330 nouvelles maladies infectieuses ont été identifiées dans les pays du Sud.
Giono s’est servi du choléra comme révélateur de la nature humaine dans Le hussard sur le toit. Patrice Debré et Jean-Paul Gonzalez nous montrent combien l’histoire de l’homme reste liée aux épidémies jusque dans ses manifestations les moins glorieuses comme la fabrication des armes bactériologiques… Comprendre comment le microbe - un néologisme inventé par Emile Littré en 1878 - se déploie entre l’homme et son environnement devrait nous permettre d’apprendre à vivre avec lui autant qu’à le combattre.
Laurent lemire