Dans une rentrée d'essais et documents qui compte 1 480 notices au 20 novembre, selon les données d'Electre Data Services, une ligne directrice s'impose avec force : celle des rapports de domination. De l'intime au (géo)politique, les catalogues déploient une cartographie des relations de pouvoir. Celles qui s'exercent sur les femmes, entre les pouvoirs politiques et les personnes gouvernées mais aussi entre puissances mondiales ou entre l'être humain et la nature.
Au cœur d'un foisonnant ensemble, un texte est particulièrement attendu : celui de Gisèle Pelicot. Depuis le début de l'année 2025, quinze titres se sont emparés du procès de Mazan. Cette fois, Gisèle Pelicot prend la plume avec la journaliste et écrivaine Judith Perrignon pour raconter, elle-même, son histoire dans Et la joie de vivre (17 février 2026, Flammarion). Tiré à plus de 100 000 exemplaires, son ouvrage bénéficie d'une sortie mondiale et est traduit dans une vingtaine de langues. Dans son sillage, Leïla Chaouachi montre combien la soumission chimique représente un enjeu majeur de santé publique dans Pour que la honte change (définitivement) de camp (4 février, Lattès).
Un camion de pompiers attend près de la ligne de front tandis que trois avions bombardiers d'eau survolent le village de Pournari, dans la région de Magoula, à environ 25 km au sud-ouest de la capitale grecque, le 18 juillet 2023.- Photo © SB - AFP OR LICENSORS - SPYROS BAKALISPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Autour de l'emblématique ouvrage de Gisèle Pelicot gravitent d'autres voix qui refusent le silence. C'est précisément le mutisme qui a entouré les violences commises par l'Abbé Pierre que dissèque l'ancienne directrice d'Emmaüs Frédérique Kaba dans Silence sacré (2 janvier, Buchet Chastel) tandis que l'une des victimes, Rachel Le Nan, assure que Tout le monde savait (2 janvier, City). Guilherme Ringuenet tente quant à lui de comprendre le mécanisme des violences sexuelles sur mineur dans Des bourreaux (25 février, HarperCollins).
Intime domination
La libération de la parole s'accompagne d'une analyse des violences systémiques faites aux femmes. Alors que la justice a rouvert cet été l'enquête sur le suicide de Krisztina Rády, ex-compagne de Bertrand Cantat, Michelle Fines affirme que le suicide forcé est un angle mort des violences conjugales dans Les mots qui tuent (21 janvier, Arthaud). Jeanne Quilfen chronique La justice face aux violences conjugales (21 janvier, Hugo Doc). Barbara Peveling analyse « les formes intimes de la domination » dans La violence du foyer (5 février, Les petits matins).
Recoudre la culture
Plusieurs titres examinent le pouvoir exercé par ou sur la culture. Victorien Bornéat examine dans L'exclusion culturelle (23 janvier, Faubourg) les limites de la démocratisation culturelle qui n'est pas parvenue à toucher les classes populaires. Dans Contre les figures d'autorité (23 janvier, Rue de l'échiquier), Samah Karaki montre comment le mythe de l'auteur est autant formé par des biais cognitifs que par une construction politique. Avec Les refusées (16 janvier, Le Seuil), Anne Bourrassé dénonce les violences et inégalités de genre dans l'histoire de l'art ainsi que l'invisibilisation des femmes artistes. Coordinatrice d'intimité pour le cinéma, Paloma Garcia Martens questionne le pouvoir politique du désir au cinéma dans L'intimité sur un plateau (18 février, Lattès).
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La réflexion ne s'arrête pas à la dénonciation. Elle interroge aussi le système qui perpétue ces rapports de force. Sabine Valens assure que la fidélité est une construction sociale et patriarcale dans Aimer sans posséder (4 février, Textuel). Bettina Zourli documente les menaces mondiales qui planent sur les droits reproductifs des femmes dans Notre corps, leur choix ? (25 février, Payot). Ovidie analyse la violence du Slut shaming (8 janvier, La Découverte). Adeline Anfray livre un Éloge de l'optimisme sexuel (19 février, Belfond). Isabelle Guérin montre combien La femme endettée (12 février, La Découverte) est essentielle au fonctionnement du capitalisme, dévoilant ainsi la manière dont l'exploitation économique se nourrit des inégalités de genre.
Les luttes queers participent à cette remise en cause des normes dominantes. Émilie Biland mène l'enquête sur la reconnaissance juridique et sociale de la parentalité queer dans Parents en quête de droits (20 février, Presses de Sciences Po). Alexandre Baril adopte une « approche trans, queer et crip du suicide (assisté) » dans Défaire le suicidisme (11 février, Burn-Août). Dans Drag fever (20 février, Divergences), Apolline Bazin interroge l'avenir de la culture drag. Renaud Revel « voyage dans la République bleu-blanc-rose » dans Homo politicus (15 janvier, First).
Tensions politiques
Alors que s'ouvrent deux années à élections, la politique française est hautement examinée dans les programmes. Luc Rouban met en exergue l'évolution du rapport à la politique dans La société contre la politique (23 janvier, Presses de Sciences Po).
Les élections municipales à venir irriguent plusieurs catalogues. Sous la direction de Timothée Duverger, Une autre commune est possible (6 février, Le Bord de l'eau) analyse le rôle menacé des municipalités. Martial Foucault et Éric Kerrouche plaident en faveur du renouveau de la démocratie des villes dans Le casse-tête démocratique des communes françaises (6 février, L'Aube). Alain Cluzet s'intéresse aux Villes face au populisme (9 janvier, Terre à terres). Philippe Estèbe et Sacha Czertok étudient les « rivalités et dépendances » des Régions et métropoles (25 février, Autrement).
Examen des barreaux
Alors que plusieurs romans de la rentrée littéraire se déroulaient en milieu carcéral, la prison fait l'objet de quelques essais. Avec Tant qu'il y aura des prisons (6 février, Le Passager clandestin), Gwenola Ricordeau pointe la manière dont les centres de détention servent les intérêts d'un ordre capitaliste, raciste et patriarcal. Dans La justice contre la liberté d'expression (20 février, Agone), Raphaël Kempf étudie les violences policières et judiciaires à l'encontre de prévenus mis en cause pour des raisons politiques. Crime contre l'humanité à l'Esma (sous la direction de Claudia Feld et Marina Franco, traduit par Alice Bériot, Anamosa) explique comment les prisons en Argentine sous la dictature sont devenues des lieux de tortures, assassinats et disparitions forcées. Alors que dans La révolution intérieure (19 février, Les Équateurs), Louis Arnaud raconte ses conditions inhumaines de détention dans la prison d'Evin en Iran. Emprisonné alors qu'il enquêtait sur les Dalits, ou Intouchables, le documentariste Valentin Hénault décrit « l'enfer de la prison de Gorakhpur » dans J'avais un rêve indien (15 janvier, Buchet Chastel).
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L'heure est aussi au bilan. Nassira El Moaddem raconte la Main basse sur la ville (11 février, Stock) du Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis, passée à l'extrême droite il y a dix ans. Dans le catalogue de Plon, Jean-Baptiste Forray dresse le bilan des Frères ennemis de la côte (15 janvier), le maire de Nice Christian Estrosi et le député Éric Ciotti. Annabel Roger et Jean-Pierre Bédéï documentent L'écœurement des maires (15 janvier) alors que leur mandat prend fin. David Guéranger relate aussi Le blues des maires (4 février, Textuel) en se concentrant sur les édiles des petites communes.
Régulièrement mis en question dans le rayon, Emmanuel Macron est le sujet de deux titres. Dans Néron à l'Élysée (7 janvier, Albin Michel), Nicolas Domenach et Maurice Szafran mettent en lumière les similitudes entre Emmanuel Macron et l'empereur romain. Michaël Moreau enquête sur le pouvoir de nomination des présidents - à commencer par celui qu'exerce Emmanuel Macron - dans Sa majesté nomme (12 février, Robert Laffont).
Le fascisme et l'extrême droite continuent d'être documentés. Jonathan Durand Folco étudie le Fascisme tranquille (23 janvier, Écosociété). Mathieu Souquière analyse les échecs des diverses stratégies pour tenter de contrer le Rassemblement national dans Casser la vague (6 février, L'Aube). Patrick Lehingue et Bernard Pudal analysent Du FN au RN. Les raisons d'un succès (13 janvier, PUF). Damien Leloup souligne que Le pouvoir des geeks (15 janvier, Les Arènes) a été récupéré par l'extrême droite. Laquelle s'empare aussi de l'écologie, comme le montre Francesca Santolini dans Écofascistes (19 février, Presses de la Cité).
Cible de l'administration Trump et menacée en Europe, selon le rapport « Défendre et promouvoir la liberté académique » publié par France Universités en octobre dernier, la science et son apport politique sont au cœur de deux titres. Avec Le moment orwellien (23 janvier, Le Seuil), Olivier Berné, Emmanuelle Perez Tisserant et Tamara Ben Ari expliquent le rôle de la science dans la démocratie tandis que Hendrik Davi plaide « pour une recherche libre et émancipatrice » dans Sciences en résistance (6 février, Hors d'atteinte).
Lettres du monde
Guerres, basculements géopolitiques, crises démocratiques : la rentrée ausculte aussi un monde en pleine recomposition et témoigne des rapports de force qui redessinent l'ordre international.
La guerre en Ukraine inspire témoignages et analyses. François Luciani retrace dans Kiev (11 février, Flammarion) la journée du 24 février 2022, premier jour de l'invasion russe. Tetyana Ogarkova et Volodymyr Yermolenko décrivent le quotidien sous les bombes dans La vie à la lisière (12 février, Gallimard). Serhiy Jadan donne des « nouvelles de Kharkiv » dans Personne ne demandera rien (traduit par Iryna Dmytrychyn, 5 février, Noir sur blanc). Ariane Chemin rend hommage à Volodymyr Vakulenko et Victoria Amelina, victimes du conflit, dans Poète et martyr (5 février, Éditions du sous-Sol). Au-delà du front, Sébastien Abis et Arthur Portier explorent les enjeux agricoles de la guerre dans Russie-Ukraine. La guerre hybride (11 février, Armand Colin). Côté russe, Elsa Vidal sonde l'opinion publique derrière l'apparente unité de la population dans Que pensent les Russes ? (26 février, Gallimard).
Planète précieuse
À l'image des précédentes rentrées, l'écologie reste au cœur de plusieurs programmes. Éric Macé propose une « sociologie de l'anthropocène » dans Climat (6 février, Bord de l'eau). Andreas Malm et Wim Carton s'intéressent à l'idéologie du dépassement dans Overshoot (traduit par Étienne Dobenesque, 6 février, La Fabrique). Antoine Poincaré et Clément Jeanneau donnent « des repères face à la dérive climatique » dans Gérer l'inévitable (9 janvier, Terre à terres). Dans Succès (7 janvier, Les Liens qui libèrent), Raphaël Liogier dénonce notre hypocrisie collective face aux défis écologiques mais aussi sociaux. Dans L'éveil (traduit par Nathalie Peronny, 12 février, Marchialy), Elisabeth Rush raconte sa participation à une expédition scientifique en Antarctique pour y documenter le changement climatique. Victor Meesters et Vincent Laureau examinent la crise énergétique et climatique sous le prisme de l'architecture dans 20 petites leçons d'économie de matière (23 janvier, Wildproject). Pour Giancarlo Consonni, il paraît évident que l'On ne sauvera pas la terre sans sauver les villes (16 janvier, Conférence). Charlène Descollonges livre un Manifeste pour une hydrologie régénérative (4 février, Actes Sud).
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Face aux crimes de guerre à l'œuvre à Gaza, Omar El Akkad (Un jour, tout le monde aura toujours été contre ça, traduit par Marie Frankland, 23 janvier, Mémoire d'encrier) et Omar Alsoumi (Enfant de Palestine. Année zéro, 21 janvier, Les Liens qui libèrent) dénoncent le silence occidental sur le génocide.
Les prochaines élections de mi-mandat aux États-Unis suscitent plusieurs analyses. Sébastien Natroll examine la politisation de la Cour suprême dans Une constitution morte (16 janvier, Amsterdam). Philippe Corbé décrypte la stratégie trumpiste dans Armes de distraction massive (7 janvier, Grasset). Émilien Bernard évoque la dérive fasciste du pays avec La tête dans le mur (23 janvier, Lux). Dans Après l'Occident ? (5 février, Perrin/Robert Laffont), Hubert Védrine et Maurice Godelier expliquent comment Donald Trump bouscule l'ordre mondial.
Sur la faille de San Andreas à San Francisco- Photo © FS - AFP - JONATHAN NOUROKPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
L'Europe s'interroge également. L'Union européenne, État ou empire ? demande Sylvain Kahn (15 janvier, CNRS Éditions) alors que Nathalie Loiseau lance un appel à la mobilisation dans Aux armes, Européens ! (19 février, L'Observatoire). Avec Mostar. Ceci n'est pas une ville (7 janvier, Actes Sud), Aline Cateux revient sur les cicatrices laissées par la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995).
Plusieurs essais embrassent les mutations géopolitiques globales. « Quel avenir pour les États-Unis, Israël et l'Europe ? », se demande Dominique Moïsi dans Nos illusions perdues (5 février, Robert -Laffont). Myriam Benraad décrypte « le Moyen-Orient dans l'engrenage de la violence » avec La loi du talion (4 février, L'Artilleur). Robin Niblett commente la rivalité Chine-États-Unis (18 février, Armand Colin). Thomas Gomart analyse la mondialisation pour tenter de comprendre Qui contrôle qui ? (22 janvier, Tallandier). Raphaëlle Bacqué, Alexandre Piquard et Damien Leloup dressent le portrait de Nos nouveaux maîtres (4 février, Albin Michel), comme Mark Zuckerberg ou Elon Musk, qui concentrent en leurs mains un pouvoir inédit.
Matière des tables
De la ferme à l'assiette, quatre titres décodent les tensions qui traversent notre alimentation. Prenant modèle sur le marché de Rungis, Stéphane Layani explore les enjeux sociaux et géostratégiques de l'agriculture et l'alimentation dans Le monde a faim (12 février, Cherche Midi). Laure Verdeau propose d'En finir avec les fausses idées sur le bio (6 février, L'Atelier). La viande n'a pas dit son dernier mot, assure Marie-Pierre Elliès-Oury (21 janvier, Rocher), tandis qu'Alex Blanchette explore l'industrie américaine du porc dans Porkopolis (20 février, Amsterdam).
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