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Il s’agit d’une œuvre miraculée, un livre qui n’aurait jamais dû voir le jour. On peut donc mesurer la tâche de Luce Giard pour l’avoir mené à terme. Il y a un peu plus de trente ans, en 1982, paraissait chez Gallimard le premier tome de La fable mystique, XVIe-XVIIe siècle. Michel de Certeau (1925-1986) avait prévu une seconde partie qu’il n’aura pas le temps d’achever, fauché par le cancer.

Cet intellectuel singulier qui fut jésuite, historien, anthropologue et sémiologue, l’auteur d’ouvrages novateurs tels que La culture au pluriel (1974), L’écriture de l’histoire (1975) ou L’invention du quotidien (1980), avait confié à Luce Giard le soin de publier la suite, à partir des textes qu’il avait rédigés. C’est en se penchant sur l’iceberg des inédits de Michel de Certeau qu’elle constata combien la partie immergée était immense.

Après avoir pensé, classé, Luce Giard s’est approchée au plus près de ce qu’aurait pu être ce second tome de La fable mystique. Constitué de plusieurs articles déjà publiés, partiellement ou en totalité, on y retrouve bien l’esprit de l’œuvre qui aborde la mystique comme une « science expérimentale », une connaissance du monde avec ses codes et ses méthodes. Pour Michel de Certeau, il n’y a pas de mystiques sans les procès qui les révèlent. Ils sont des « voyants », à la manière de Rimbaud, qui transforment les figures en miroirs et élaborent une théologie de la place vide, celle que l’on garde pour le lecteur.

Comment appréhender ce phénomène du XVIe et du XVIIe siècle avec les sciences sociales du XXe siècle ? C’est tout l’enjeu de ce travail ambitieux sur un sujet fuyant qui s’échappe tout le temps sur la scène de ce théâtre de l’absence où Dieu ne se manifeste qu’en creux. Pour raconter cette fable mystique, l’auteur prend des cas particuliers comme Jean de la Croix et Nicolas de Cues. Il aborde aussi des personnages moins connus comme Jean-Joseph Surin, plus célèbre pour sa folie intermittente que pour sa Science expérimentale des choses de l’au-delà, véritable discours de la méthode mystique où le corps devient une aventure spirituelle.

Avec un sens de la rigueur qui force l’admiration, ce grand esprit marginalisé par l’Université française nous invite, via les chansons, les poèmes et les textes à une grande chasse aux mystiques transmetteurs de foi. Michel de Certeau fut aussi un acteur marquant du doute qui s’empara des historiens dans les années 1970 à propos d’un territoire à redéfinir. Cette vigilance l’a conduit sur la voie de ces mystiques qui savent que l’ignorance est le moteur de la connaissance. On trouve d’ailleurs dans ces articles retrouvés quantité d’interrogations sur le délicat travail de l’historien qui « effeuille en silence un paysage fragmentaire de résidus sociaux ». L. L.

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