Essai/États-Unis 14 mars Susan Scott Parrish

« Quand il pleut cinq jours et que le ciel devient noir comme la nuit... » La voix lancinante de Bessie Smith traduit l'angoisse des populations touchées par la plus impressionnante inondation de l'histoire des Etats-Unis en 1927. Son Blackwater blues en est devenu l'hymne. Toute la douleur du Mississippi s'en échappe : huit millions d'hectares submergés, sept Etats dévastés, deux tiers du territoire américain touchés.

Susan Scott Parrish (université du Michigan) revient sur cette catastrophe, moins sur son histoire déjà très documentée que sur ce qu'elle nous dit de la société américaine. Elle analyse les causes environnementales et sociales de la tragédie, les conditions sociologiques des années 1920, la manière dont le désastre a été rendu public et comment cette crue a constitué un moment important de la modernité littéraire aux Etats-Unis. Faulkner en a fait la toile de fond de trois chefs-d'œuvre. Le bruit et la fureur, Tandis que j'agonise et Si je t'oublie Jérusalem. Il parle à ce propos de « flood year » pour bien marquer la durée et cette violence lente qui touche les populations au plus profond. Car lorsque l'eau se retire, la souffrance est toujours là.

Ce cataclysme a pris un sens collectif. Il a fait remonter des fractures sociales et des problèmes raciaux. Dans ce Sud rural on accuse les « eaux yankees » et la déficience du système des levées destiné à réguler le débit du fleuve. Ensuite, il y a ces populations afro-américaines meurtries que l'on place dans des camps... Certains y voient comme une résurgence de l'esclavage.

Susan Scott Parrish a commencé à travailler sur ce sujet en 2005, après le ravage de La Nouvelle-Orléans par l'ouragan Katrina. Dans cette étude passionnante, elle pose une question essentielle : à quel moment une catastrophe est-elle porteuse de sens ? Et que peut-on en tirer ? Dans ce cas, on trouve un mélange de fatalité naturelle et de responsabilité humaine. Cette spécialiste de l'environnement y voit la première grande manifestation de cette ère appelée « anthropocène » dans laquelle l'homme est un élément déterminant de l'altération de la vie sur terre. Cette seconde nature dont nous sommes responsables implique une société du risque et des traumatismes dont le timbre de Bessie Smith se fait l'écho. « Alors je suis montée sur une haute et vieille colline solitaire/Et j'ai regardé tout en bas la maison où j'avais vécu. »

Susan Scott Parrish
1927 la grande crue du Mississippi. Une histoire culturelle totale - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Salvatori
CNRS Editions
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 25 euros ; 400 p.
ISBN: 9782271125156

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