Les libraires face aux crises (4/5)

Le soutien public aux librairies pas toujours à la hauteur

La Création d'Adam de Michel-Ange, détail de la chapelle Sixtine. - Photo © Stephane COMPOINT / ONLYWORLD.NE - Only France via AFP

Le soutien public aux librairies pas toujours à la hauteur

Fragilisée par la baisse de la lecture, l'instabilité des aides publiques et l'explosion des loyers, la librairie appelle à un soutien de la part des pouvoirs publics.

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Par Cécilia Lacour
Créé le 04.09.2025 à 15h35

La population française lit de moins en moins, selon les résultats du Baromètre 2025 « Les Français et la lecture », publiés par le Centre national du livre en avril. « Au cours des douze derniers mois, 63 % des Français déclarent avoir lu au moins 5 livres (-6 pts vs 2023) et la part de lecture quotidienne baisse (-4 pts vs 2023), pour atteindre son niveau le plus bas depuis dix ans », indique l'étude. Ces données inquiètent l'ensemble de la filière. Avec les baisses de la fréquentation et du panier moyen, ses effets sont visibles en librairie et participent directement à la fragilisation des enseignes.

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Olivier Pennaneac'h, chargé de mission à l'Agence du livre Provence Alpes-Côte d'Azur.- Photo © YOHANNE LAMOULÈRE/TENDANCE FLOUE.

Aussi, plusieurs libraires appellent à un sursaut pour promouvoir la lecture, notamment auprès des jeunes générations. « Les ministères doivent prendre cette problématique en main. Il faut faire rêver les jeunes et leur proposer des visites en librairie, en bibliothèque ainsi que des rencontres avec des auteurs et autrices », martèle par exemple Cécile Bory, directrice de la librairie Georges à Talence et présidente de l'association Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine (Lina).

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L'association a créé en 2005 le programme d'éducation artistique et culturelle Jeunes en librairie, depuis étendu à l'ensemble du territoire français et soutenu par les directions régionales des affaires culturelles. Cependant, son avenir questionne. « Un jour, on nous dit que le dispositif continue avant d'affirmer le contraire le lendemain », indique par exemple Olivier Pennaneac'h, chargé de l'économie du livre à l'Agence régionale du livre Provence-Alpes-Côte d'Azur.

La même incertitude pèse sur le pass Culture. Lancé en 2018, il a été resserré en mars dernier avec la suppression de l'allocation pour les moins de 17 ans et une baisse notable de celle-ci pour les 17-18 ans. Le pass Culture serait de nouveau dans le viseur du Sénat. « Les sénateurs reviennent à la charge pour tailler dans les dépenses du pass Culture, rapporte La Lettre. La part versée directement aux jeunes serait supprimée et le reste des crédits transféré à l'Éducation nationale, ce qui permettrait de faire disparaître la société qui l'administre. » L'avenir de ces deux dispositifs contribue à créer « un contexte de forte instabilité pour les librairies », pointe Olivier Pennaneac'h. Et remet en cause l'engagement gouvernemental en faveur de la lecture auprès des jeunes.

Un soutien sur les loyers

D'autres leviers d'action relèvent également des pouvoirs publics. Parmi eux, les loyers des baux commerciaux. Alors que le gouvernement a acté un plafonnement des loyers pour les petites et moyennes entreprises d'avril 2022 à mars 2024, plusieurs enseignes font état de difficultés financières en lien direct avec leur loyer.

La librairie jeunesse Aux Mots Tordus (Saint-Maur) a été contrainte de fermer en janvier dernier après que son loyer a été multiplié par 2,3. « Si notre loyer de départ était de 4 500 euros mensuels, il est actuellement de 6 500 euros, soit 7 000 euros avec les charges, expliquent de leur côté Nilala et Frédéric Siméon (La Flibuste, Fontenay-sous-Bois) dans un post Instagram début juillet. Nous ne parvenons plus à payer ce montant, trop élevé pour notre activité. » Le couple a lancé une campagne de financement participative au début de l'été pour l'aider à régler sa dette locative. L'opération a été couronnée de succès.

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Quelques jours plus tôt, la gérante de L'Affranchie (Lille), Soazic Courbet, communiquait également sur Instagram son mécontentement après avoir reçu sa révision locative. « Lille subit une hausse infernale des loyers (particuliers et baux commerciaux). Comment on fait en tant que commerce indépendant de proximité pour absorber ces hausses annuelles ? » écrivait-elle. La librairie ajoutait : « En septembre 2024, Martine Aubry - alors maire de Lille - est venue me voir pour me demander comment elle pouvait nous aider. Je lui ai dit que le contrôle des loyers était la seule vraie aide possible ».

Déjà en 2022, le Syndicat de la librairie française demandait la mise en place d'un « dispositif permettant de contenir l'inflation des loyers commerciaux en centre-ville » dans ses douze propositions adressées aux candidats et candidates de l'élection présidentielle. « Une réflexion entre collectivités locales, bailleurs privés et librairies pourrait être menée pour garantir des locaux commerciaux aux librairies avec des conditions tolérables pour leur activité », estiment quant à eux Benoît et Alexandre Coutaz, respectivement P-DG et directeur général de Harmonia Mundi.

Pays de la Loire : la librairie impactée par les coupes budgétaires

Les coupes réalisées par la région Pays de la Loire dans le budget de la culture, en amputant l'enveloppe de 100 millions d'euros, ont fait l'effet d'une bombe dans le monde du livre. Elles fragilisent l'ensemble de la filière, librairies comprises. L'Association des librairies indépendantes en Pays de la Loire (Alip) a ainsi « perdu la totalité de [sa] subvention régionale alors que la Région a soutenu sa création il y a dix ans », relate Marie Goiset, chargée de coordination et seule salariée de l'association. Cela représente « 44,4 % du budget sur les actions de notre association », précise-t-elle.

La Région supprime également son soutien financier à Jeunes en librairie, contraignant le dispositif à ne pas poursuivre son action auprès des lycées et à se recentrer sur les collèges pour sa prochaine édition. Le désengagement régional entraîne par ailleurs « une suppression des aides aux librairies indépendantes », indique Marie Goiset. Sur le site de la Région consulté début juillet, la page dédiée à ces aides a en effet été basculée en « Accès refusé ». Pour la chargée de coordination de l'Alip, cette disparition « pose problème : nous sommes désormais redirigés vers d'autres dispositifs régionaux qui ne sont pas adaptés à nos entreprises ».

Si l'un des premiers effets visibles des coupes budgétaires a été la suppression de cinq postes au sein de l'agence régionale Mobilis, Marie Goiset s'inquiète pour l'avenir. « Nous n'en mesurons pas encore tous les effets mais ces coupes appauvrissent assurément l'ensemble du réseau », regrette-t-elle.

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